La fille de la galerie

 Participation au défit d'écriture de Rafistoleuse dans le cadre de son club "Jetez l'encre". Thème : Suspect n°1

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La fille de la galerie

« Elle dansait sans s’arrêter, comme maintenue dans une spirale infernale. Vous comprenez, elle semble avoir cette façon si particulière de bouger, animale et végétale à la fois. La photo est  floutée  mais je la regardais comme si… comme si j’étais derrière une glace sans tain mal entretenue. J’ai scanné le négatif puis j’ai zoomé sur elle. C’est là  que j’ai vu l’ombre. Il y a un homme près du poteau à côté d’elle et elle ne le voit pas, bien trop occupée à danser. Il est au centre du cadre, il a l’air menaçant. J’ai pensé venir vous voir. ». Tonie regarda longuement l’homme assis en face d’elle, sans une parole, le silence de distance nécessaire à la question cruciale : avait-elle le choix de refuser cette affaire ? Non ! Son esprit divagua quelques secondes sur Fred qui lui avait demandé ce matin un peu d’air. De l’air, était-ce vivre sans ? Impossible, Fred était sa respiration, son poumon, sa bouffée d’oxygène entre chaque affaire plus ou moins scabreuse qu’elle était amenée à traiter. Elle revint sur l’homme, petit, replet, septuagénaire, triturant nerveusement son chapeau. Ce petit monsieur lui sembla tout à coup digne d’intérêt, déclenchant un élan d’intérêt « Vous me donnez la photo ? » demanda Tonie doucement. Il lui tendit une clé USB qu’elle introduisit dans le lecteur de l’ordinateur « Cliquez sur « Femme qui danse ». Il eut un maigre sourire. « J’aurais aimé être là, dans la photo, juste pour la regarder danser. C’est idiot n’est ce pas ? ».

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que Tonie s’était éjectée de son fauteuil en criant « Paul, on le tient ! ». Un grand type dégingandé aux allures du Grand Duduche déboula dans le bureau. « Regarde ça, le hall de la galerie marchande, on reconnaît le magasin de vêtements derrière. C’est Suma qui défile. Et devine qui est là ? » Elle cliqua plusieurs fois pour agrandir l’image au maximum « Nom d’un chien » murmura Paul dans un souffle admiratif « Où t’as eu ça ? ». Tonie leva la tête « C’est monsieur… Monsieur ?». Le vieil homme sembla s’engoncer un peu plus sur sa chaise, presque à disparaître entre l’assise et le dossier. « Morel ! Morel, photographe de père en fils. C’est mon fils qui a pris cette photo et c’était bien à l’anniversaire de la galerie marchande. Mais elle, sur la photo, elle danse ! Il eu un silence gêné. Elle danse n’est ce pas ? ». Tonie le regarda avec circonspection « Cette jeune femme s’appelle Suma Ruyo et défilait pour une ligne de prêt à porter. La sécurité du parking a retrouvé son corps dans la soirée. L’homme sur la photo est certainement Bertrand Cicard, un psychopathe qui nous ballade de crime en crime. Ce qu’on voit sur la photo, c’est son reflet dans la colonne à la droite de Suma. Travaillée par le labo, cette jolie image va mettre un vilain portrait sur ce malade ! » Elle s’arrêta en voyant une larme perler sur la joue de l’homme. Je suis sincèrement désolée Monsieur Morel ».

Il se leva sans un mot et sortit lentement du bureau, un peu moins anonymement qu’il n’y était entré. C’était bien ce qu’il avait prévu, la police mettait le meurtre sur le dos de l’autre cinglé. On ne viendrait jamais le chercher, lui. Il lui avait juste demandé de danser, simplement danser.

-          Paul, il y a un filtre sur la photo. Elle est truquée. Tu ne le lâches pas, enquête aussi sur le fils. Moi je vais au labo. On tient peut-être une piste sérieuse, je le suspecte, instinctivement certes mais c’est viscéral

-          Je te tiens au courant dit-il en sortant

Tonie regarda une fois de plus l’image sur son écran. Cicard et le vieil homme pourraient-ils n’être qu’une seule et même personne ?