La nuit noire. partie 1

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     Nous sommes sur une planète composée à 75% de sucre. Nous sommes dans un monde ou les maisons sont en caramel, où lacs, mers et océans débordent de miel, l’hiver, ce que vous nommez neige est ici le résultat des batailles de polochons qui éclatent entre nos centaines de nuages en barbes à papa. Le vent qui ballait nos prairies d’herbe en réglisse sent le chocolat. Voilà mon monde. Mais ne vous amusez surtout pas à croire qu’il est mieux que le vôtre juste parce que ses étoiles sont au citron.

 

     Je me réveille ; d’une nuit noire et longue durant laquelle quelqu’un m’a expliqué que j’allais naitre, c’est tout ce dont je me souviens. Un liquide épais vient se coller à mes yeux. Je suis un petit morceau d’homme, et je nage dans une bouteille de sirop. Je peux voir, au travers des parois qui me séparent du monde, que des milliers d’autres bouteilles sont alignées, au loin. Chaque bouteille possède un numéro, j’inspecte la mienne et j’y lis « N°1397 ». Certain dorment encore, comme de petites éponges, ils se laissent bercer, imbibés du liquide. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Mais je suis réveillé. Et j’attends. J’attends mon tour. J’attends que quelque chose ouvre mon bocal.

     Après avoir attentivement observé les alentours, je remarque que je ne suis pas rangé au même endroit que tout le monde. Je suis sur une seconde file, où d’autres comme moi, se demandent ce qu’ils font là. Je les voix qui tournoient, cherchant une issue, une réponse écrite quelque part, dans cette bouteille, sur cette bouteille. On ne nous a rien dit de plus que « Cette nuit vous conduira à votre naissance ».

     Puis, des femmes sortent de nulle part. Sur la veste de celles qui viennent s’occuper de nous est écrit « couturière ». Rapidement, elles ouvrent des centaines de bouteilles. Je les vois, qui naissent les uns après les autres. Tous ceux de la première rangée reçoivent un baiser. Pas nous. Et étrangement, les dames de la première file sont joliment habillées contrairement aux nôtres. Pourtant ce n’est pas la tendresse qui leur manque. C’est plutôt que leur visage est pâle, leur veste est noire, elles ont l’air triste. Quand vient mon tour, je me demande comment je vais parvenir à sortir par ce minuscule goulot. Ma couturière dévisse le bouchon, et quelque chose fait que je glisse, que le temps de passer cet orifice minuscule, mon corps n’est plus qu’un fil. Mes poumons s’arrachent, je crache, je suffoque, sans crier. Et enfin, je me mets à respirer. Par la suite, on m’emmène dans une salle nommée « salle de fabrication ». Un par un, nous sommes trempés dans toute sortes de liquides. Passant de l’état de  «morceau de chair » à « petit être ». On me trempa dans du lait, puis dans du café. Ma couturière me confectionna une chevelure à base d’herbe noire des champs, mes yeux furent saupoudrés de charbon légèrement doré, mes lèvres recouvertes de salive de rose mélangée à de la crème de marron, puis, la touche finale fut de coudre ce qui ferait de moi un homme.

     La série de poupée soigneusement conçue fut reconduite dans la « salle des naissances », où nos bocaux respectifs nous attendaient. Certains étaient mystérieusement plus pleins que d’autres. On nous mit dans des paniers en nougatine, à coté de notre bouteille de sirop. J’avais très froid. Les dames venues chercher les poupées de première file repartirent directement, je ne sais ou, dans leur vaste existence. En ce qui nous concernait, nos couturières attitrées sortirent une à une. Tout en tenant ma vie par l’anse, la mienne se dirigea vers une porte nommée « Adopté », qu’elle ouvrit. Elle me déposa sur une table où encore une fois, plusieurs paniers étaient alignés. Quand toutes les couturières furent parties, la porte s’ouvrit à nouveau, mais cette fois sur une multitude d’individus qui nous inspectaient de haut en bas. Le musé humain avait ouvert ses portes.

     Une dame très jolie, toute petite, comme un lutin, les oreilles pointues et les cheveux très très courts s’arrêta devant moi. Elle m’inspecta sous tous les angles, puis, après un temps qui sembla interminable, elle approcha son nez de mon cou. Une évidence sembla s’allumer dans son cœur, elle m’embrassa. Toutes les autres femmes lui firent un sourire. En partant avec moi, son nouveau né, elles lui chantèrent en cœur « Aimez le fort, bien, avec passion mais raison. » Dans la voiture, elle m’expliqua son choix : Elle s’était attardée à mon panier, sentant l’odeur de crème de marron. Elle-même ayant été trempée il y a près de 40 ans dans de la crème de châtaigne, elle s’était retrouvée en ma petite bouille café au lait.

     Une fois à la maison, je remarquai que je ne rentrais plus dans le panier. J’étais effrayé de sentir mon corps s’agrandir comme une pate à pain sous le rouleau, gonfler comme une baguette qui dore au four. Je fini par faire craquer la nougatine. Ma mère m’observait, elle m’avait déposé dans un petit lit en pain d’épice. « Tu grandis drôlement bien ! » dit-elle. Puis la métamorphose pris fin. « J’ai faim ! » Hurlais-je. Mais elle ne réagissait pas. Elle se contenta d’observer sa montre. « J’ai froid ! » rajoutais-je. Aucune réaction, elle regarda l’heure. Elle fixait le cadran. La minute passa, midi pile. « Etape numéro une ! Tu peux désormais parler ! » « J’ai faim et froid !!! » Hurlais-je pour de bon. Elle couvrit mon corps de petite pâtisserie congelée d’une couverture en laine de framboise. « Sais tu que cette laine est très rare ? Je te ferai gouter des framboises, tu verras, elles possèdent un petit duvet conçus de minuscules files, et des millions sont nécessaires à la confection de ce plaid. » Je m’endormi, délicatement, mais fit un rêve étrange. Je repensai à ma naissance. J’imaginais qu’au moment du passage du goulot, je m’étais transformé en petite framboise, en un minuscule fil de ce duvet. Quand ma mère vint me réveiller, sa montre lui indiquait qu’il était l’heure de savoir.

     « Tu as dû remarquer que tu étais né d’une bouteille qui à la fois t’a accueilli et accompagné dans ton chemin de vie. Mais sais-tu au moins quelle est son rôle ? »

« Je ne sais pas. Mais j’ai vu que certain bocaux étaient moins pleins, moins vides que d’autres. C’est bizarre, non ? »

« Tu verras que rien n’est étrange ici. Une réponse existe à tout. Vois-tu, notre existence est un gobelet dans lequel on verse le contenu de notre bouteille. Mais il faut faire attention a ne pas en mettre trop ou trop peu. »

« Et qu’est-ce qu’on fait avec après ? Je dois boire ? »

« Surtout pas. Pas maintenant. Tu découvriras dans quelques temps les rires et les pleures. Tu devras récolter tes larmes dans un flacon et les verser dans le gobelet, tes rires mélangeront le tout. Ces deux la sont tes amis, ils sont complémentaires.»

« Mais quand vais-je pleurer ? »

Ma mère m’emmena devant une fenêtre. Elle me montra un animal dans le ciel.

« Cet oiseau est l’un des plus beau de notre monde. Ses ailes en tissus sont imbibées d’un sucre issu du ciel de la nuit, où ils naissent en décembre. Mais malheureusement, certaines personnes raffolent de ce sucre citronné, et les tue. »

Je restai plusieurs heures à admirer ce bel oiseau en cristal d’étoile, en me demandant comment quelqu’un pouvait manger cette beauté, s’en délecter. Je préférais savourer avec les yeux. Soudain, l’oiseau s’arrêta net dans son vol léger et délicieux. Il tomba, raide, au sol, mort. Je me mis à pleurer, et me blotti dans les bras de ma mère en lui disant, entre deux sanglots : « Mais pourquoi est-il mort ? Je n’ai pas vu de chasseur ! »

« Les animaux de notre terre partagent leurs énergies. Sitôt que l’un d’entre eux meurt d’une volonté extérieure à celle de la nature, l’espérance de vie de tous les autres se voit diminuée. Aujourd’hui, tant d’animaux on été tué que leur durée de vie est réduite à seulement quelques heures. »

     Un petit lac s’était formé au creux de ma main droite. Ma mère alla détacher l’une des ailes de l’oiseau mort, la déposa dans la paume de ma main, et une fois qu’elle eut absorbé le lac de tristesse salé, elle essora le tissu et fit couler mes larmes dans ma bouteille. « Les premières doivent être intégrées directement à ton sirop. » Je restai, triste et abattu, le regard aussi mort que l’oiseau qui gisait au sol. Ma mère se dirigea vers ce pauvre corps inanimé, et déposa l’aile salée sur le ventre de l’animal. Ensuite, elle versa une goutte de sirop et de larme sur lui. Je vis une nouvelle aile apparaitre et l’oiseau se relever pour s’envoler de nouveau. Un sourire se glissa entre mes lèvres, je rie de bonheur pour la première fois de ma vie. « La nature a compris que tous les hommes ne la respecterait pas. C’est pourquoi elle donne à celui qui a provoqué les premières larmes d’un être humain la chance de ressusciter. »

     « La potion est enfin prête ! » Conclue ma mère, toute émerveillée. « Tu dois désormais gouter. » Elle versa au creux de ma main un filet rougeâtre, qui sur ma langue, avait un gout de sang mêlé de sucre. « C’est tout à fait normal. » me dit-elle « C’est le gout de la naissance. Mais ne sens tu pas quelque chose d’autre ? » Mon esprit tâtait mes papilles, à la recherche d’une saveur sortie des profondeurs de la nuit noire. Je sentais quelque chose de doux, d’infini, de chaud, quelque chose comme la pulpe de mes lèvres. J’avais le nom de ce fruit sur le bout de la langue. « Ne t’inquiète pas, ca viendra. Le temps est un cultivateur. Tu commenceras par voir la graine de ce que tu es, tu en verras ensuite la fleur, puis le fruit, et seulement à ce moment là, tu goutteras, et tu sauras. »

(A suivre ...)

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