La panne

sophie-dulac

La panne

Il fait froid.

Les doigts engourdis sur le clavier, l'inspiration sclérosée, je regarde par la fenêtre au delà de l'écran.

Dehors mon bout de lac a pris la couleur du ciel.

Des vaguelettes acier trimballées par le vent dérangent l'horizon gris caoutchouté.

Des moineaux cherchent leurs bectées sur les arbres dépouillés.

Dans le jardin, mon vieux chien prend l'air de l'aurore.

L'esprit dans la grisaille comme le temps de ce matin, je me remets doucement d'une insomnie stérile.

Cette nuit, les mots se sont encore esquivés.

je descends faire couler un énième café, je laisse la mousse dorée au fond de la tasse encore chaude.

Le feu attisé, les yeux mouillés, je fixe cette vieille souche qui s'embrase avec volupté.

Dans un coin du salon, ma contrebasse m'appelle, je caresse délicatement la courbe de ses éclisses, son érable est sensuel, sa cambrure charmeuse pourtant j'ai le coeur engourdi, le désir anémié.

Je ne la prendrai pas dans mes bras ce matin, je sais que quand l'étreinte est forcée, la musique se fait laide.

L'archet reste tout entier à la poussière de la cheminée.

Derrière la vitre les feuilles mortes virevoltent en flammèches fauves, mes larmes brouillent l'automne.

Un trait de lumière déchire de gros stratus.

Des carcasses de branches vides s'étirent devant l'étendue brumeuse.

Où se sont envolés les petits oiseaux ?

Je suis en panne.

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