La partouze de l'apocalypse

vincb

La première chose que je fais lorsque je reprends consistance, c’est de dégager une jambe qui me coupe la circulation sanguine du bras. Je me redresse chancelant. Mes jambes sont aussi molles...


La première chose que je fais lorsque je reprends consistance, c'est de dégager une jambe qui me coupe la circulation sanguine du bras. Je me redresse chancelant. Mes jambes sont aussi molles que ma queue. Ma vue se trouble. Je ne veux pas voir. Comme après la révolution vient la terreur, après la partouze vient la nausée. Dans cet amas, cet enchevêtrement  de corps nus et grouillants, je ne reconnais même pas le cul que je viens de baiser. Étroit et sec, il s'agissait d'un anus, ça j'en suis sûr ! Mais de la rondelle à qui ? Dans cette nasse impossible de savoir. A vrai dire, je n'ai pas pris la peine de vérifier s'il était voisin d'une paire de testicules avant de le pénétrer. Les organisateurs n'ont pas menti, cet évènement est bel et bien la partouze de l'apocalypse. Nous sommes des milliers en train de copuler (vingt mille selon les organisateurs, cinq mille selon le Vatican). En même temps que je limais l'orifice, j'ai sucé un clitoris qui aurait pu appartenir à une hyène tellement il pendouillait. Dernier rempart de la morale, les animaux et les enfants ne sont finalement pas admis. Bien que les extrémistes aient menacé de faire scission lors de l'assemblée plénière, la mention “Entre humains libres et consentants” a été inscrite à l'arrachée dans le manifeste. La raison ne l'aura emporté que de justesse, car la plupart des hétéros, trop sûr de leur nombre, n'ont pas daigné se déplacer et voter. Dès qu'il s'agit de baiser, batifoler et s'en foutre plein la lampe, il y a du monde, mais pour prendre ses responsabilités, c'est autre chose. Les gays et lesbiennes voulaient absolument participer mais dans des halls séparés. Les bisexuels qui avaient du mal à trancher se sont abstenus. Quitte à esquisser un nouveau monde radicalement différent, pédophiles, zoophiles et fétichistes souhaitaient que leur particularité (interdit de parler de déviance) soit inscrite dans la future constitution. Une main se lève et agrippe ma cuisse et des ongles griffent ma peau. Une voix suppliante me dit : “Viens l'écrivain, viens...”. Je ne sais pas qui est cette femme qui me reconnaît. Je ne la connais pas et ne veux pas la connaître... un contact Facebook sans doute...

Maintenant je veux fuir. Je veux retrouver Sandy et mon enfant dans son ventre. Je veux me casser de là. La dernière fois que je l'ai aperçue, elle s'était faite happer par deux hommes. De rage ou de jalousie, j'ai fourré le premier cul qui s'est présenté. J'ai joui mal et vite. Et maintenant j'ai envie de rentrer chez moi, dans mon giron familial, certes carcéral et petit bourgeois, mais rassurant par rapport à cette débâcle, cette chienlit, ce grand n'importe quoi, cette soupape débile ! Pour sûr nous n'avons pas fini d'entendre parler du traumatisme que cette foire à la viande aura engendré !

“Entre humains libres et consentants” la proposition aura fait débat. Quid des alzheimers et des malades mentaux ? Les progressistes voulaient que dans une grande ouverture tout le monde puisse forniquer avec tout le monde. Les conservateurs quant à eux pensaient qu'un schizophrène même stabilisé ne pouvait être considéré comme en pleine possession de ses moyens. Une commission d'enquête a été créée, des experts ont été invités à témoigner, ils se sont contredits, impossible de trouver le statu quo. Fournir un certificat de bonne santé mentale a été jugé irrecevable par beaucoup, en raison de la nécessité de constituer un fichier. Tatouer des symboles comme label de qualité a été refusé par tous, en raison de sombres réminiscences de l'Histoire, et ce bien que la question du VIH ait été soulevée plus d'une fois. Et que faire pour les tétraplégiques, paraplégiques, culs de jatte, vieillards, dépendants et grabataires ? La création d'un nouveau monde implique que tous soient égaux à chacun, et ceci doit absolument commencer par une égalité devant le plaisir. Rapidement les vieilles ornières se sont reconstituées laissant frustrés, le long des murs de la foire expo, une cohorte d'exclus dont le syndicat autonome des impuissants qui pour l'occasion fait alliance avec l'association nationale des femmes frigides. Par contre les obèses morbides après moult négociations et par besoin de reconnaissance se sont dévoués pour en masturber certains mais pas tous. Des emplois aidés de “branleur” ont alors été créés pour soulager les autres : question de mixité, de parité, d'égalité, d'altérité, de fraternité, de justice sociale, autant que pour des raisons de salubrité publique. Il est cependant à noter que pour la première fois, les travelos et prostituées ont pu bénéficier d'un statut légal, sous forme d'une accréditation pour tapiner. Au moins à quelque chose malheur est bon...

Dans la meute gémissante, je cherche ma compagne. Je refuse une pipe, enjambe une levrette, et évite la sodomie... Voir ainsi tous ses fantasmes prendre chair, c'est un peu comme vomir son inconscient en même temps que devoir le ré-ingurgiter, sous peine de se voir enseveli par la marée humaine, ou par des litres de jus de foutre, de stupre, et de cyprine mélangés. Il faut que je gagne la sortie. Pourvu que Sandy m'attende dehors près des cordons sanitaires évangélistes. Pourvu qu'elle aussi soit submergée par le même dégoût, le même immonde qui prend corps. J'espère mais je ne sais pas. Je ne suis plus sûr de rien, sauf d'une chose : promis plus jamais de ma vie, je ne lui parlerai de mélangisme !


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