La ville est triste

Daniel Adams

En proche banlieue dans le nord de Paris

Toutes les impasses les petites rues
De mon enfance ont disparu
Ont laissé place au béton cru
Aux promoteurs aux publicistes
De ce temps-là plus rien n’existe
La ville est triste

Je voudrais tellement croire encore
Que l’on pouvait transformer en or
La boue la crasse de ce décor
Mais je ne suis pas alchimiste
Je ne suis qu’un idéaliste
La ville est triste

Hangars hagards tôle ondulée
Les pauvres gens sont acculés
Dans toutes ces banlieues reculées
Ces territoires qu’on dit frontistes
Aux barres d’immeubles cubistes
La ville est triste

Sur les trottoirs les flaques d’eau
Semblent comme des lambeaux
Du ciel bleu brisé en morceaux
Dans ce dédale conformiste
Ouvrir des brèches tracer des pistes
La ville est triste

Sur tous les murs ils ont tagués
Des histoires de vies déglinguées
Si jeunes et déjà fatigués
Ce sont les cœurs qui sont autistes
Broyés par le grand machiniste
La ville est triste

Et dans la pénombre des porches
A tâtons les corps se rapprochent
Les mots d’amour on les écorche
Les caresses sont égoïstes
Les solitudes sont échangistes
La ville est triste

Des lignes jaunes à passer
Et des feux rouges à dépasser
Des lignes blanches pour se placer
Comme dessinée par un graphiste
Le règne de l’automobiliste
La ville est triste

Regardes cet homme qui va crever
De ne plus pouvoir rêver
Personne qui l’aide à se relever
Personne vraiment qui s’en attriste
Un fait divers de journaliste
La ville est triste

Rompant soudain le grand silence
Entends au loin cette ambulance
Hurlant fonçant vers les urgences
Service des traumatologistes
Lui il va compléter la liste
La ville est triste

Sur les trottoirs les flaques d’eau
Semblent comme des lambeaux
Du ciel bleu brisé en morceaux
Dans ce dédale conformiste
Ouvrir des brèches tracer des pistes
La ville est triste

Les gens blottis dans les cafés
Se serrent comme pour se réchauffer
Sous les réchauds à s’esclaffer
En vain à l’ennui ils résistent
A la fin du monde on assiste
La ville est triste

Tituber jusqu’au prochain bar
De quoi oublier de quoi boire
Et se raconter des histoires
Chacun son cancer chacun son kyste
Chacun son enfer chacun son christ
La ville est triste
La ville est triste

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