LE BOROT

Marcel Alalof

                                                          LE BOROT

Mes parents, à l’époque du borot, habitaient un appartement dont la fenêtre principale, celle du salon, donnait sur une façade aveugle, l’arrière d’un immeuble, faite de pierres meulières couleur craie-de-Savoie. En vérité, une falaise.

Entre chaque bloc disjoint, nichaient des pigeons. La seule occupation permise lorsque je regardais par la fenêtre était de suivre leurs évolutions. Je me suis toujours demandé pourquoi le cri des pigeons me faisait penser aux plaintes d’un enfant épileptique. Le panorama qui s’offrait à moi explique sans doute que je n’ai jamais éprouvé le besoin ou l’envie de regarder vers l’extérieur, explique sans doute au fond que je regarde à l’intérieur de moi, que je regarde mieux lorsque j’imagine que je regarde.

Par un matin de 25 décembre qui ressemblait au jour de Noël, je trouvais, au pied d’un arbre de Noël qui n’existait pas, un paquet à mon intention. Je l’ouvris avec impatience : il contenait un ceinturon et un revolver de plastique réplique exacte du premier sèche-cheveux mais de couleur noire, sur lequel était inscrit : « Space Patrol ». Et également le borot !

Je vins rapidement à bout du revolver et nous n’en parlerons plus. Le ceinturon, quant à lui, me réconfortait au toucher, mais n’excitait pas mon imaginaire.

Le borot, lui, éclipsait tous mes autres jouets qui maintenant restaient remisés. Pendant des semaines, nous étions, le borot et moi, un seul être. Je passais mon temps, l’esprit, les sens, en communion avec le borot. Le monde était à nous, rien ne nous était impossible et nous nous entraînions l’un, l’autre, dans des aventures toujours passionnées, toujours renouvelées.

Un jour, le borot disparut. Mes recherches dans tout l’appartement furent vaines. Je ressentais au cœur cette perte. Puis, au bout de jours de recherche, je commençais à tenter de l’oublier en le trompant avec les autres jouets : le tank qui crachait du feu, ou la mitraillette. Mais ,avec tristesse, car toujours je pensais au borot.

Un jour la bonne tira le buffet et le borot roula vers moi. Nous reprîmes notre vie en commun, oubliant tout ce qui n’était pas nous. Puis, un jour, je parlais à mon père du borot :

«On ne dit pas borot, mais robot ! »

« Non ! on dit borot ».

« C’est un robot ! ».

Ce fut la fin du borot. 

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