Le coma de Steve Jobs
Christophe Paris
Voici maintenant deux mois que Steve jobs est sorti de son coma consécutif à sa chute de salle de bain. Jobs, l'orphelin pauvre devenu aussi riche que Crésus dont on pourrait remplacer le «S» par le «$» est ressuscité. Après deux mois de spéculations financières et médiatiques sur Apple, son patron, et leurs avenirs communs, voici que Steve jobs convoque la presse mondiale aujourd'hui pour, je cite « un évènement majeur ». J'entre donc fébrile et curieux comme tous mes collègues dans l'immense amphithédrale de la maison mère. Mystique. Au premier regard je comprends immédiatement que quelque chose d'immense est en train de se produire. Là devant nous une scène dépourvue de tout artifice et un logo inconnu en toile de fonds. Une pomme mais coupée en deux. Une tranche en forme de cœur, pépins compris. Et un nom : Openapple.
Pantois, je jette un regard vers mes alter ego que je découvre dans la même stupeur. Etonnement, surprise, interrogations, pronostics, c'est la foire aux mots, la valse des paupières écarquillées. Un seul constat nous sommes tous perdus. On sent une fébrilité terrible dans l'assemblée, objectifs aux aguets, micros en embuscades, camions relais en renfort d'audimat, les forces en place sont prêtes à en découdre. Je cale mon recorder, le temps de relever la tête et le dieu du numérique est déjà en place. Silence monacale dans l'assemblée.
Le discours commence ainsi : « J'ai voulu rebooter le monde, restarter les mentalités, défragmenter les clivages, linker les hommes pour qu'ils s'aident et qu'ils s'aiment. Tout ce que j'ai créé l'a été dans cette seule optique. C'est aujourd'hui après deux mois de convalescence que j'affirme ici sans détour m'être trompé ». Je suis stupéfait, comme le reste de l'assemblée.
C'est la révélation faite à la presse. Les perchmen posent leurs micros, les envoyés spéciaux leurs tablettes, les journalistes locaux leurs stylos. Jobs parlant d'amour et d'erreurs. Lui, l'impitoyable requin blanc de la silicone dont l'infecte réputation de business man implacable n'était plus à faire, lui si secret et méfiant, se dévoilait dans une sorte de coming out sentimental inimaginable jusqu'alors.
« La seule chose que je ne regrette pas est la blue box que je voulais gratuite mais que j'ai vendu finalement, pour acheter du matériel. Je n'aurais jamais dû croiser et engager le diable en la personne de John Sculley. J'ai cru en ses paroles. J'y voyais un futur rêvé, lui n'y voyait qu'un futur doré ». Quel revirement! Alors que c'est jobs qui l'avait débauché de chez Pepsi-Cola dont les bulles avaient remontés en bourse depuis son arrivée. « Je croyais qu'en avançant, qu'en amassant j'allais pouvoir changer l'ordre des choses. Jusqu'à hier 17h00 je n'en avais pas été capable. A 17h05 j'avais licencié tout mon directoire et ses prédateurs à l'empathie aussi légère qu'un billet d'un Dollar ». Enorme bruit de fonds dans la salle je n'en crois pas oreilles, elles non plus d'ailleurs et m'attaquent d'un redoutable acouphène, trop de tensions.
Reprise des hostilités, les journaleux commencent à réagir on entend les sons des touches des Smartphones, tablettes et autres qui filent à vitesse grand V.
L'effervescence après la renaissance. « J'ai créé une instabilité géopolitique majeure pour quelques grammes de métal précieux, je suis responsable de la mort d'ouvriers par fatigue ou suicide, j'ai fait travailler des enfants qui ont l'âge des miens, j'ai licencié et mis à la rue ceux qui avaient confiance en moi. J'ai créé des clients passifs, captifs, enrôlé dans un culte de l'objet. Tout cela est terminé. Comme m'ont dit mes enfants quand j'ai pleuré devant eux il est temps de recommencer tout ».
Certes je suis hypocondriaque mais là je suis pris d'un vrai malaise, boule au ventre, tête qui tourne, nausée, j'ai l'impression d'être dans un cauchemar, suis pas loin du malaise vagale. La journaliste de CBS s'effondre littéralement en pensant à son portefeuille d'actions dont elle vantait tant les résultats hors caméra. Personne n'y prête attention. Nous sommes tous hypnotisés par les paroles de l'ancien gourou. Steve continue son discours en nous expliquant qu'il veut bouleverser l'ordre mondial de la production à grande échelle, booster les pays émergeant, réparer les dégâts de sa politique productiviste, redistribuer le savoir à tous. Quel choc pour nous qui ne savions comment redonner au lecteur l'ampleur du cataclysme qu'allait déclencher une telle révolution. Le discours se termina par un rendez-vous avec la presse fixé une semaine après afin d'expliquer en détail la mise en phase active de son projet.
Je sors lessivé et dépité ne sachant par quel bout commencer mon article, tout ça est tellement inouïe et riche de conséquences. Le mot est faible d'ailleurs. Durant cette semaine de tous les fantasmes, les bourses ont fait du yoyo, les spéculations allant bon train, certains alimentant la rumeur que Steve n'avait plus toute sa tête… Le dollar sortait ses crocs et les grands groupes leurs escrocs. Mais curieusement Apple, enfin Openapple a su résister aux coups de semonces des canons du capitalisme exacerbé.
C'est donc la semaine suivante, encloisonné dans un bâtiment gardé et armé jusqu'aux dents, que je me retrouve à caler mon recorder pour la dernière conférence de Jobs. Je comprends qu'il n'a pas perdu la tête notre Wonder Steve, mais que certains voudraient bien la lui couper.
Voici donc en quelques grandes lignes les points majeurs de son projet révolutionnaire. Dorénavant Openapple sera le nouveau nom accompagné de son logo sorte de cœur ouvert, les pépins symbolisant chacun de nous comme élément indissociable et nécessaire.
Plus aucune vente de machines, oui vous avez bien lu. Celles-ci seront louées en fonction des revenus de chacun, les plus démunis en bénéficieront gratuitement et avec accompagnement. Une design unique à tous les ordinateurs, fini les fausses séries évolutive juste pour vendre un peu plus... Ceux-ci seront fabriqués à partir de fils de maïs compressé totalement recyclable, non toxique pour la nature, offrant légèreté, étanchéité, solidité.
Là, franchement en écrivant ces quelques lignes je me demande si je ne suis pas en train de devenir cintré. Ces coques seront fabriquées chez vous via une imprimante 3D fournie sur demande. L'électronique on board sera remplacée par la biolonique (Electronique végétale). Les mémoires actuelles seront substituées par des Bio cellules de roses combinées à celle de tournesols offrant des capacités de stockages sans limites, sans toxiques. Nous équiperons nos machines d'un processeur minéral d'un millième de Nannogramme produit à base de terre non rare, capable de vitesses de calculs deux terras fois supérieures aux meilleurs d'aujourd'hui. Un système de câblage végétal à base d'ADN de racines de lotus couplé à un plastique végétal permettra l'arrêt total de la consommation de câbles conducteurs. Un million d'imprimantes 3D vont être livrées aux pays victimes de mines anti-personnel pour que plus une seule victime ne traîne son désespoir. Openapple fournira des équipes d'expert pour les formations afin qu'à terme ses pays deviennent le fer de lance du développement de prothèse. La fabrication des anciens modèles Apple a dilapidé les réserves d'eau potable de plusieurs pays. Un grand programme d'impression 3D de vasques de production d'eau spontanée par effet de condensation, sera mis en place y compris dans le Sahara. On pense que d'ici 5 ans celui-ci aura une capacité de réserve en eau potable équivalente à deux fois la mer morte. Ce projet permettra un système d'irrigation non destructif et économique en goutte à goutte permettant tout type de culture dans le désert. Le Sahara sera bientôt le verger de l'Afrique. C'est à peine si j'arrive à croire à ce que j'écris, suis tellement déconcerté.
Je relis mes mots un à un pour être certain de bien comprendre, du coup, vlam… migraine de champion olympique. Je me dis que cette crevure infréquentable de jobs, ainsi qualifié par un confrère du Times, pétait les plombs comme jamais aucun humain n'avait eu le courage de faire. J'avais la main qui tremblait frénétiquement comme si elle aussi semblait défaillir incapable de croire aux mots qui défilaient de son sillage. Nous apprenons que le géant Google s'est associé à Steve pour la production de viandes et protéines végétales en vue d'éradiquer la famine dans les contrées dévastées par ce désastre.
Dingue de chez dingue. J'avale un anxiolytique, en fait trois, sinon je bascule.
Steve nous explique que c'est après avoir lu la nuit des temps de Barjavel, un livre français, que l'idée lui était venue de constituer une réserve inépuisable de nourriture. Nous entendons interloqués qu'il va s'attaquer à la production de masse pour gommer de nos sols les mégas-usines qui chaque jour fabriquent les ruines de notre futur. Ne plus produire qu'à l'échelle de l'individu et uniquement en fonction de ses besoins. La mort des conglomérats, la débâcle des multinationales, c'est le jugement dernier du capitalisme par un seul cavalier de l'apocalypse, Steve the Big. « Sors de ce corps Karl Marx » c'est le premier truc qui me vient à l'esprit. J'ai l'impression d'avoir été drogué tellement tout cela me paraît surréaliste. Paf, somatisation, boum, troubles de la vue, le stress toujours et encore qui revient en supersonique. Le décor qui m'entoure semble se liquéfier. Ça tombe comme des p'tits pains, le premier quart de la salle s'évanouie, le deuxième reste la bouche ouverte, bave dégoulinante, le troisième panique en cris grotesques et gestes frénétiques, le quatrième décide d'abandonner le métier et de fuir loin le cataclysme planétaire qui s'annonce. Je sors de ma lobotomie quand j'entends parler d'ITunes. Ouf, suis en terrain conquis. Plus maintenant, en moins de trois minutes, nous apprenons qu'ITunes ne servira plus qu'à véhiculer le plus grand nombre de tutoriaux possibles source de développement du savoir. Chacun pourra y contribuer. Openapple y déposera tous les modèles 3D utilisables par tous, tous sujets confondus. Le travail sera dorénavant subdivisé en micro tâches à l'image de la Turkish machine (Je vous invite à lire le projet Google actuellement mis en place), permettant à tous de ne plus travailler qu'une heure 52 mn par jour équivalant au résultat d'une semaine de travail standard. Super Steve nous explique qu'il est temps que les parents retournent à leurs enfants, que l'éducation redevienne humaine pour ne plus sacrifier des générations en fils d'un capitalisme à l'appétit sans fin, en consommateurs sans scrupules et sans passions.
D'un coup on entend une rafale de tri d'arme automatique, tout le monde se couche sauf Steve qui part imperturbable. C'est un miracle qu'il n'ait pas été touché. Les tireurs sont interpellés. A ma stupéfaction j'aperçois Francis Bouygues et François Pinault une Kalachnikov à la main les yeux exorbités furieux d'être ainsi évincés comme d'autres grands de la scène du grand argent.
Fin de la réunion. Début des hostilités.
Qui veut la peau de Steve ?
Les riches d'hier qui s'évertuent à trouver une bouée de sauvetage à leur naufrage d'aujourd'hui. Mais Jobs a fait son job. Non content de bouleverser l'ordre mondial, il a également détruit son système économique. Quel bonheur pour un journaliste d'écrire ce qui va suivre. Voilà 10 jours, nous apprenons par un twitte que Jobs the saint a nettoyé le monde de son argent sale. 350 hackers ont réussi à casser les codes de tous les comptes off-shore signant ainsi la faillite de milliers d'entrepreneurs véreux. L'argent à immédiatement été versé en bit coins aux associations d'aide et d'entraide du monde entier empêchant ainsi toute tentative de reprise. Ça sent le cataclysme, mais c'est trop bon.
Je rentre à l'hôtel plein de rêves et de peurs comme sans doute chacun de mes lecteurs. Quel sera le résultat de cette révolution 2.0, nul ne le sait mais tous espèrent.
Il fait chaud et je bois un jus de clémentine du cru dans mon verre design en fil de crabe de culture dessiné par ma fille de 11 ans et imprimé sur son imprimante 3D . Et je pense. Dix ans… Voici dix ans que la bombe jobs a atomisé la sphère capitaliste et c'est de ma terrasse au bord de la mer intérieure du Sahara que j'écris ce dernier article. Cette improbable mer qui me regarde plantée au milieu des dunes grâce au génie humain. Que le monde a changé, que l'homme a changé. Fini la prédation, les peuples ont repris le pouvoir décidant de leur sort par référendum. Les frontières n'existent plus sur la planète de la bio-économie. Les répartitions des tâches et des productions ont quasiment réduit à zéro les transports de marchandises. L'Afrique est devenue le nouveau poumon du monde, s'attachant à la production d'oxygène et d'air liquide par fractation de molécules d'eau non polluantes. La mer est devenue notre nouvelle terre, la culture de coquillages pour la fabrication d'écrans biomédias est en plein essor transformant ainsi des pays pauvres en producteurs de haute bionologie. Le FMI n'existe plus toutes les dettes fardeau ont été gommées en une année. Les anciens pays développés ont réussi à tirer leur épingle du jeu et les petits commerces de proximité ont connu un essor fulgurant. Chacun fabrique son vélo ses chaussures ou son steak sans aucune difficulté. La semaine de travail est passée à 3 jours de 2 h 30 de travail effectif quotidien. Les gens sourient, les mômes sont cool, les ventes d'armes ont disparu des rues en guerre. Les religions ont disparu montrant le visage de leurs jougs dans une société qui leur avait échappé. Une société où l'on ne croit qu'en une seule chose, l'homme.
Cette bête cupide et prédatrice qui enfin a su se libérer de son propre joug, cet animal devenu si pacifique et apaisé, je suis fier finalement d'en faire partie.
Christophe Paris
Un texte que j'aurais dû étudier en français dans le thème "Utopies" !
· Il y a plus de 10 ans ·dreamcatcher
Wah la claque!
· Il y a plus de 10 ans ·pimentdouce
merci du passage et du com, oui chui méchant avec lui mais je jure que c'est pas ma nature c'est de sa faute !!
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
bonne chance alors pour le concours je le trouve très bon ton texte, l'idée de départ et la façon dont tu l'as traitée :)
· Il y a plus de 10 ans ·venise3
Merci de ton com zentil comme touzours
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
comme toujours de rien :)
· Il y a plus de 10 ans ·venise3
C'est long mais c'est bon!!! kiss
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
:) marci
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
C'est vrai que ton style s'affine. Bravo Christophe pour ce texte, entre réalité et fiction.
· Il y a plus de 10 ans ·Sylvie Loy
Merfi fylvie, enplus tme fais remonter la note maaarcibocou, y'a du lourd sur le concours y sont top les textes,mais je comprends pas je reçois plus tes nuveaux textes t'as fait un truc ?
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
Aucun truc. C'est nul, j'écris tous les jours en ce moment en plus ! Bonne chance pour le concours !
· Il y a plus de 10 ans ·Sylvie Loy
pleins de bonnes idées, et ce qu'on souhaiterait voir se réaliser, et en plus c'est possible, tout à fait possible
· Il y a plus de 10 ans ·arthur-roubignolle
comment t'as fait pour me noter 3.7 ? drôle de valeur !
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
c'est pour laisser aux autres un peu de place pour noter aussi, mais qu'à cela ne tienne...Je renote
· Il y a plus de 10 ans ·arthur-roubignolle
Ah oui là c'est mieux je te dois combien ? :)
· Il y a plus de 10 ans ·Zentil narthur ze vais te noter zaussi
Christophe Paris
Ah oui là c'est mieux je te dois combien ? :)
· Il y a plus de 10 ans ·Zentil narthur ze vais te noter zaussi
Christophe Paris
désolé de ne pouvoir tout lire. Mais ton écriture est vraiment éblouissante et ton raisonnement cohérent, et ton imagination puissante. Bravo pour ce travail d'humanité.
· Il y a plus de 10 ans ·elisabetha