Le hibou fabuliste

Au temps jadis, un vieux hibou déplumé aimait raconter des histoires immorales dans les tavernes de la vieille ville. Moyennant quelques pots des meilleurs vins du cru, cet habile conteur savait distraire habitués et visiteurs, veillant à ponctuer ses récits de détails salaces à la grande joie de son public. La fable qui lui assurait le plus de succès était celle de la faisane dorée qui décima les poulaillers de la cité.

D'une beauté singulière, cette oiselle était le fruit du croisement d'un prince noir et d'une blanche magicienne. Irrésistible, elle pouvait avoir tous les mâles qu'elle voulait et ne s'en privait pas car sous les plumes dorées de la poule faisane se cachait une vraie grue. Toutefois sa préférence allait aux coqs. Elle jetait son dévolu sur les plus beaux spécimens, ces bêtes de concours qui entretiennent leur vanité de foires en foires. Après les avoir séduits, la fausse ingénue prétendait ne vouloir vivre avec eux qu'un amour absolu. En contrepartie, la friponne avait l'art de leur faire connaître des moments d'extase aussi rares qu'inouïs. Pour s'assurer une nouvelle chopine, le vieux hibou insistait alors sur le détail de pratiques toutes plus étonnantes les unes que les autres. Certes, joignant le geste à la parole, le mime narrateur en rajoutait quelque peu mais entre excitation et hilarité, ses auditeurs indulgents trouvaient dans ses affabulations bonne matière à enflammer leur imagination. Qu'attendre de mieux d'un conteur public ?

La suite de l'histoire, pardi ! Dans un premier temps, la belle faisane exigeait de ses nouveaux amants une exclusivité qu'elle se gardait bien de s'appliquer à elle même. Évidemment, les naïfs énamourés n'en savaient rien. À la stupéfaction générale, les gallinacés subjugués quittaient poules, dindes et pintades pour offrir le meilleur d'eux même à leur nouvelle princesse. Ensuite, par un sortilège dont l'oiselle gardait le secret, elle entreprenait de transformer ses coqs en papillons. Au prix d'autant d'efforts que de renoncements, les hardis volatiles se prêtaient à la métamorphose en se dépouillant de toute fierté, leurs plus belles rémiges en premier. Pour finir, elle envoyait les malheureux aveuglés par leur passion, se brûler les ailes au premier fanal venu et, cependant que leur âme grésillait dans les flammes, l'ogresse cuisinait sans attendre d'autres prétendants. Crête en berne, barbillons flapis, jabot transi, œil vitreux et voix de fausset, les ténors anéantis remâchaient longtemps leur infortune avant d'en admettre la réalité. Après un douloureux travail de deuil, les coqs finissaient par retrouver leur basse-cour la queue basse, mi loques mi hongres.

Le massacre prit heureusement fin quand, sentant l'âge venir, la gourgandine se chercha une cage dorée pour ses vieux jours. Après un interminable chant du cygne, la belle faisane se vendit à un oiseleur aussi vieux que fortuné qui l'emmena jouer les mainates de luxe à l'autre bout du monde. Laissant à l'auditoire le soin de trouver une morale à cette histoire, le vieux hibou finissait sa chopine avant de s'envoler en zigzaguant vers son donjon pour s'y abîmer dans un lourd sommeil d'ivrogne.