Le mariage de Victorien

     Numa, sur son banc, méditait à l'ombre du grand figuier. Loin des piailleries des femmes, il caressait et tiraillait le côté gauche de sa moustache, toujours le même. Car enfin, que donnerait-il au Fils ?

Numa et Victorine, sa femme, avaient cinq enfants survivants. L'aîné, Augustin, ils considéraient l 'avoir donné à Dieu et à la France en 1915. Le couple n'avait pas compté ses heures, ses ancêtres non plus, et la famille possédait quelques biens. Les filles étaient dotées. C'est sur le petit dernier, largement adulte, Victorien, que tous les espoirs reposaient.

Mais Victorien, étrangement, ne paraissait jamais près de s'engager pour une femme. Il avait fait des études, à Pézenas, et l'on pensa que ce n'était pas bon, les études. Les prétendantes, jolies et de bonne race, semblaient s'être lassées. Le temps courait. Et puis, de façon assez inattendue, il y eut, un jour, Ninon.

On parla mariage au bout de quelque temps. Victorien acquiesçait.

La Ninon était jeune, un peu maigre mais plutôt jolie et ses parents habitaient le village voisin de Rèze. Ils vivaient d'une oliveraie et de leur petite huilerie. Et voilà pourquoi Numa réfléchissait : vaudrait-il mieux donner au fils la vigne ou les oliviers ?

Autant dire qu'il considérait comme menus soucis ces grandes agitations de la maisonnée à propos d'un voile, de bouquets, de toilettes et de messes, sans compter les abondants repas prévus de longue date.

Le grand jour arrivé, famille et amis s'en furent à pied vers la petite église de Palan et son gracieux campanile ; deux villages en quelque sorte s'y trouvaient rassemblés. Les mariés portaient beau, Victorien dans son costume, et la petite Ninon dans ses voiles. L'abbé Fanchet fut à la hauteur,  l'assemblée également et Numa se décida : les oliviers, ce serait mieux.

On avait même convoqué un photographe qui fit poser tous ceux de la noce, deux par deux, derrière son immense boîte en bois et sous son drap noir. Ce fut lui qui détecta l'anomalie tandis que peu à peu, les villageois se figeaient devant l'impossible vision.

A côté des mariés, sur le flanc droit de Victorien, soudainement apparue, il y avait une deuxième mariée, avec la robe de circonstance, et qui tenait devant elle un enfant.