Le phare

Frédéric Cogno

Mon vieil ami, mon solitaire,

Toi qui cajole les tyrans,

Toi qui donne la lumière

Debout face à tous les néants;

 

Témoin des peurs et des détresses,

Ereinté d'assauts rugissants,

En proie aux vagues vengeresses

Des aurores jusqu'au couchant.

 

Je te chéris de ma falaise

Où je te vois au loin pensif,

Sur ton rocher comme une ascèse,

Le coeur poussé vers le récif.

 

-Dis, à quoi songes-tu là-bas

Pris dans la colère des vents,

A coup de ventrées, de fracas,

Impassible à ces geysers blancs?

 

Pilier des nuits, des abandons,

Toi mon prodige aux flots domptés,

Que caches-tu sous tes sermons?

Quel mystère? Quel grand secret?

 

Toi qui révoques  les tempêtes,

Toi qui écumes tous les cris

Lorsque le monstre se projette

Sur ta cuirasse endolorie;

 

Toi qui sais les désespérances,

Croisant au large de l'oubli,

Tu ordonnes la délivrance

Des matelots longtemps languis;

 

Ton invincible promontoire

Criblé de vieilles tragédies,

Tient l'Orateur à l'oratoire,

Le gouffre reste à ta merci.

 

-Attends-tu un dragon des mers

Quand l'horizon se fait plus noir?

Une siréne aux grands yeux clairs?

Un vaisseau dans l'épais brouillard?

 

Gardien des grâces implorées,

Embaumeur de soleils mourants,

Te souviens-tu des exilés

Qui parlaient aux fous de Bassan?

 

Que je t'admire! Ô toi mon phare!

Poitrail rossé, nu et offert,

Tu suis des yeux l'homme à la barre,

Les sextants, les larmes de mer;

 

Ton front écrit tous les naufrages,

Folles ténèbres et tourbillons,

Le choc sous les croûtes d'orages,

Le mât brisé des noirs galions;

 

Ces chants lointains dans le silence,

Ce requiem d'outre-marée,

Cet opéra au mille transes,

Tu les diriges avec doigté...

 

-Je te verrai, peut-être un jour,

Oui je viendrai et hors- raison,

Mon colosse, ma haute tour,

J'habiterai dans ta maison,

 

Pour y veiller l'âme blottie,

Sous ton étoile au firmament,

Pour écouter le coeur ravi,

Les plaintes bleues de l'océan!

 

 

 

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