Le pied cassé

eleanor-gabriel

Le pied cassé

Il était une fois un pied.
Qui a dit Pfffffff.....?
Un pied ma foi peut imposer le respect.
Si si si...vous allez voir.
Ce pied là n’était pas comme les autres.
 Un peu gauche, certes, mais en général il filait droit .
Ce pied là, donc, avait un petit truc à lui.
Il possédait sept petits orteils bien solidaires.
Chaque nuit, ils s’endormaient tous bien rangés les uns contre les autres.
Chacun d’eux possédait une petite couronne dessinée sur la tête, enfin plutôt sur ce qui leur servait d’ongle.
Pas d’ogre dans la chaumière cependant, ne vous méprenez pas.
De l’autre côté,  une révolution se préparait depuis longtemps.
Ce pied gauche avait bien trop longtemps joui de privilèges
exorbitants, et cela ne pouvait plus durer.
Le jour de gloire s’approchait enfin où justice serait rétablie.
La guillotine n’était pas faite que pour les rois, mais aussi
pour tout scélérat digne de la chiourme.
L’imposture était patente ici, car ce pied bénéficiait d’une chaussure de pointure supérieure.
Or par les temps qui couraient, on se devait d’économiser le moindre bout de semelle en cuir, sans compter le temps de brosse à reluire et pédicure à l’eau savonneuse.
Il fut donc décidé par l’équipe de droite, comprenez les cinq coquins qui pestaient secrètement, qu’on fomenterait un stratagème pour venir à bout des sept nains.
Un jour vint ainsi où nos deux pieds s’aventurèrent - bien que de concert et poussés par la tête du haut- sur une immense plaque de verglas.
Au moins cinquante centimètres de large, c’était inespéré.
Il n’en fallut pas plus à notre équipe adroite pour profiter de l’occasion.
Celle-ci se mit à balancer en cadence, prétextant une gelure due au froid, projetant de tout son poids sa force centrifuge de petits poids!
Les sept petits doigts pris de surprise vinrent se contorsionner main dans la main dans leur botte géante, qui gauche et maladroite ne trouva pas d’autre mesure que de verser au sol.
Sains et saufs, tous entiers au grand désarroi de l’équipe adverse que le cerveau mit au courant, on constata pourtantcertain dégât.
Notre pied gauche, comme une cruche brisée, versait des larmes de douleur.
Petit tarsien aux yeux rougis, un petit os s’était rompu.
Cousin lointain de nos angelots, on ignorait son importance.
Nos petits doigts bien que vaillants, se portaient là sans plus d’allant.
De messager il leur servait, pour contenter celui d’en haut.
Mais à travers un émissaire, le bien connu sieur péronier,  et donc jamais ils n’avaient su, que ce tarsier fut leur cousin.
«Allons, firent nos sept petits doigts, nous ne sommes pas une bande de bras cassés, que diable!»
 Et ils se mirent alors en tête d’oeuvrer pour le bien commun, en évitant tout mouvement.
C’est en ces actes fort à propos, que le pied gauche fut mis au repos.
On lui procura alors une nouvelle botte de sept lieues encore plus large, qui fit enrager de plus belle nos cinq orteils du clan de droite.

La morale de cette histoire, c’est ma foi qu’on ne peut dormir sur ses deux pieds qu’en ouvrant bien toutes ses oreilles et en comptant sur... sept doigts de pied!
Pour les trois autres, comprenez qu’ils représentent les Trois petits Singes de la Sagesse:
 Ne voit pas, N’entend pas, Ne dit rien.
Et cela serait le bien?...

Eleanor Gabriel

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