Les gens, c'est rien que des gens
Thierry Kagan
Ne vous a-t-on jamais craché dessus ?
Bousculé, sans doute. Insulté, la base.
Mais craché dessus !
Qui plus est, tout juste après une bonne action.
Qui plus est encore, au milieu d'une assistance qui ne fait rien pour vous filer un coup de main. Pas un mouchoir, un pan de chemise ou un bas de robe.
Rien, que dalle, laissé là, pour compte.
Alors que, je ne sais pas, moi ! Vous avez empêché un type de se faire voler son portefeuille de cadre dynamique mais distrait, par une bande de trois voyous qui auraient noyé le poisson en se passant l'objet du délit de main en main.
Eh bien moi, si !
Je me suis fait cracher dessus.
Eh bah, tiens ! Justement, en venant au secours d'un costume avec un cadre à l’intérieur, qui se faisait voler son portefeuille par trois types.
Que ne m'a-t-il pas pris de jeter mon brave dévolu sur le premier des voleurs et d'abattre ma main sur son avant bras piqueur (avec vigueur, comme je le fais sur le buzzer pour répondre au quizz de ma femme quand je rentre tard).
Oui, je me doute : vous avez le droit de penser qu’il était insensé de lui mettre littéralement la main dessus. Mais cela date du temps où le cœur travaillait plus vite que la raison : c’était plus fort que moi.
Le pickpocket a commencé par prétendre qu'il n'avait rien fait (déjà - pour le faire moi-même - dire qu’on n’a rien fait est un premier aveu à charge).
La preuve, a-t-il ajouté : sa main gauche est vide et la droite dans sa poche.
Sans blague !
Puis son discours a très vite tourné au vinaigre, puisqu'il a insinué que j'étais un
un « enculé ».
Un ongulé ? Non, non, un « enculé », vous avez bien lu.
Alors que personne ne lui avait soufflé quoi que ce soit.
Le passager à qui j'ai épargné le vol restait, quant à lui, tout à fait calme, ignorant l’échange cordial et me laissant m'en prendre plein la gueule et pour le moment, d'insultes.
Le métro finit sa route entre deux stations. Le voleur – pour meubler - dévoila à toute l'assistance quelques extraits choisis d’une vie délabrée (qui n'est pas la mienne, je vous jure).
Les portes s'ouvrirent, les trois voleurs descendirent d'un bloc en me méprisant (c’est-à-dire qu’ils ne me regardaient pas tout en me regardant).
Certains voyageurs quittèrent également le wagon en ne me témoignant rien qui vaille non plus. Pareil pour le failli-se-faire-voler.
(à croire que les justiciers non masqués n’ont pas leur place dans le commun des transports)
Bouquet final : avant que les portes ne se referment, celui qui avait fait mon éloge avec tant de mots choisis, me fit, en plein visage, un don dégoulinant de ses humeurs, celles raclées juste à partir de là, un peu avant les amygdales.
Suite à cette averse d'eau peu de rose, j’ai cherché à m'essuyer front et lunettes.
Vous l’avez compris, comme évoqué au début : personne n'a bougé l'orteil pour me venir en aide.
La moralité que j'ai tirée de cette histoire - assez banale, du reste, par ces temps de faits divers à foison - c'est qu'il ne faut pas hésiter à ne pas se mêler des affaires des gens, surtout quand leur intégrité n'est pas compromise.
Parce que les gens, finalement, ce ne sont que des gens.
(depuis, je me suis bien sûr mis à faire les poches ; je suis bien content de pouvoir compter sur l’inaction des témoins. En fait, c’est vraiment bien, les gens !)
Alors, je suis vraiment confus, mais à y regarder de plus près, je ne suis absolument pas un modèle de pureté
· Il y a plus de 11 ans ·Par exemple, je n'abaisse que très rarement la lunette, je suis plus sanguin qu'un président en "y", je refuse de ranger mes affaires au prétexte que ça permet de créer du lien entre des choses qui ne se seraient jamais rencontrées sans moi, je n'arrive pas à rayer les voitures plus belles que la mienne... tout ça, quoi
Désolé.
Thierry Kagan
Haha j'adore la fin :-D bravo et merci !
· Il y a plus de 11 ans ·lounalovegood
Je comprends.
· Il y a plus de 11 ans ·Il me fallait une contre chute.
(celle-ci ne correspond pas à la réalité !)
Comme pour tous mes écrits, je les retravaillerai and I'll think about your message
Merci.
Thierry Kagan
J'aime la façon de relater le faits pas si divers... même trop courant. j'aime pas la conclusion...
· Il y a plus de 11 ans ·cerise-david
A la relecture...cracher. Bien plus insultant et dégradant que des mots...Les tiens expliquent bien cela.
· Il y a plus de 11 ans ·Choupette
Il est vrai que cracher est une dimension qui s'était perdue ... C'est très animal, très peu civilisé, très répugnant. Mais pour certains, c'est sûrement un réflexe, une sorte d'entraînement, une libération, si bien qu'ils ne savent plus vraiment ce qu'ils font. Mais on ne va pas verbaliser là où on ne se parle même plus !
· Il y a plus de 11 ans ·fuko-san
- Quelqu'un a dit que le seul moment où il a un peu de contact et de chaleur humaine, c'est lorsque les pickpockets lui font les poches.
· Il y a plus de 11 ans ·Finalement, tout est affaire de frustrations.
Je n'ai pas d'argent, je veux le tien.
Je n'ai pas de partenaire sexuel(le), j'insulte le tien
Je n'ai pas ton beau visage, je lui crache dessus.
- Tu veux dire que tu as un beau visage ?
- Non, non, ça m'est venu comme ça...
Thierry Kagan
J'y reviens, je ne m'en lasse pas ... Un costume avec un cadre à l'intérieur, j'adore !
· Il y a plus de 11 ans ·Le problème, dans le métro c'est qu'ils sont trois et que vous êtes cinquante (voire même cent) mais tout seuls ! Désoldarisés, les gens sont ! D'ailleurs, même quand c'est moi, je fais tellement comme si c'était pas moi ... c'est dire si je vais m'occuper d'un autre !
Plus au Sud, au soleil, dans le bus, des voyous crient et crachent tout pareil, sans qu'aucun homme ne bouge. Seules les femmes, voilées ou pas, rouspètent mais sans trop insister, sauf quand elles parviennent à se mettre à plusieurs. Et en furies. C'est pas encore gagné !
fuko-san
Bravo pour ton geste spontané et ta maîtrise. Je crois qu'en de telles circonstances, m'en serait venu un deuxième. Quant au cadre coincé... et aux autres gélifiés !!
· Il y a plus de 11 ans ·Archange Flippé
Génial.
· Il y a plus de 11 ans ·Je valide des deux mains et surtout le titre : ben ouais, malheureusement, les gens, ce ne sont rien que des gens...
wen
Heureusement que la morale est à géométrie variable.
· Il y a plus de 11 ans ·Par exemple, là, je me verrais bien sourire à un inconnu, comme ça, sans rien attendre en retour.
Thierry Kagan
Le style et l'histoire, nous y voilà ! Tout y est. Ne serait-ce ce crachat peu ragoûtant, on s'en régalerait ;-) Et de cette morale désolante, on se serait volontiers passé. Mais c'est ainsi que vit l'humanité et c'est mieux quand Thierry l'écrit.
· Il y a plus de 11 ans ·fuko-san
Effectivement, je l'ai vécu comme raconté
· Il y a plus de 11 ans ·(la dernière parenthèse n'est pas tout à fait vraie... même si j'ai dû voler du temps à certains, de la tranquillité à d'autres et sûrement encore beaucoup d'autres valeurs immatérielles de ce type ; ah si, quelques fois, des baisers, mais je les ai rendus juste après)
Thierry Kagan
pour moi du vécu , sans la salive du con tre venant!!!
· Il y a plus de 11 ans ·la lâcheté est une des nouvelles caractéristiques de cette société, bien vu et raconté!!!
franek
Noter? A bon... je reviens ce soir.
· Il y a plus de 11 ans ·Choupette
merci
· Il y a plus de 11 ans ·(mais quand ça n'est pas linéaire et à la limite de la réalité, ça fait travailler le cerveau, non ?)
Thierry Kagan
celui là je l'ai beaucoup aimé. IL EST raconté de façon linéaire(ouf) il st drôle, et vraisemblable. Bien. Je note haut: 15 sur 20.
· Il y a plus de 11 ans ·elisabetha