LES JOINTS DE DILATATION

Isabelle Revenu

Insidieusement, la vigne a envahi tout mon flanc droit. Accrochant ses pampres jeunes et délicats autour de mes jambes, gagnant du terrain à mesure des jours qui passent.

Je suis en train de monter un mur. De briques et...de broc. Je ne suis pas maçon, je fais ce que je peux.

Je le voudrais étanche, imperméable aux sentiments qui agitent mes voiles, se prennent pour des envahisseurs et stagnent dans mes profondeurs.

J'ai cassé mon compas à force de m'étendre du Pôle Nord au Pôle Sud. D'élargir la palette de mes envies.

J'ai bousillé mes poulies, brûlé mes drisses et me voilà à la dérive de mon coeur incontinent.

La mer est capricieuse. Peut-être que moi aussi après tout.

A force de vouloir ardemment, on perd tout. Y compris le sens du raisonnable.

Les choses acquises ne le sont jamais tout à fait et tout peut toujours être remis en question et en silence... et sombrer.

Sombrer ....

Ombrer ma silhouette, disparaitre dans un trou de rat. Faire la morte.

Derrière mon mur, je serai à l'abri.

Je dois seulement trouver l'aplomb et dérouler ce fil invisible. Le casser net.

La vigne s'accroche au creux de mes bras, se faufile sous mon chemisier, me caresse la poitrine. Imprime dans mon cou des baisers terreux. M'enserre les bras et me laisse alanguie. Exsangue. La peur au ventre, dans le sillon des délices. Un délicieux chatouillis qui me poursuivra longtemps.

Je manque de liant, de chaux et de volonté. Et même si l'envie me prend de laisser mes grilles entrouvertes, il faut pourtant que je termine ce que j'ai si mal commencé. Chercher des petits cailloux - autres que ceux que j'ai semé sur ton chemin - qui serviront d'accroche. Faire une assise la plus droite possible en tenant compte de l'hydrographie, des secousses telluriques qui ne manqueront pas de naître en moi. Des orages soudains et des vents violents qui voudront tout détruire à nouveau.

Des demi-mots que je ne comprends plus, des non-dits qui font mal. Des silences aussi, qui ravageront mes yeux obstrués.

Faire propre au mieux. Débroussailler, tailler dans ce que je pensais inaltérable. Arracher les vrilles qui se collent à moi. Déraciner cette jungle douloureuse.

Je poserai des joints de dilatation tous les mètres, je ne voudrais pas avoir à tout reprendre à zéro. Et je recouvrirai les briques et le broc d'un crépi doré et lumineux.

Au cas où je me serais trompée, je te promets de laisser un pan de briques brutes, pour que tu m'y peignes à nouveau un de tes coins de ciel bleu.

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