Micro-apocalypse
rafistoleuse
On est dimanche, y a le télé-achat qui nous vante le mérite des bandes antidérapantes à semelles auto-adhésives pour escaliers. Je suis à moitié nue du pied droit, et je tente de ramener la couette par dessus, sans utiliser mes mains.
" J'ai envie de toi..."
Tu me dis ça comme ça, de but en blanc. Tu trouves que c'est le moment idéal pour me balancer cette phrase.
Micro-apocalypse.
*** PILE ***
"Quoi ? "
J'ai trop bien entendu. Et je vois ton sourire balançoire entre excitation et appréhension. Et je voudrais donner un air autre que paumé à mon regard, faire disparaître ce tremblement de fin du monde dans ma voix. Mais je peux pas.
"T'as bien entendu ..."
T'es pas idiot, je le sais. Et tu me connais. A la minute où t'as prononcé ces mots, t'as dû réaliser le chaos que tu avais engendré. J'ai envie de sauter dessus, de plaquer mes lèvres contre les tiennes et de laisser courir nos mains. Et comme une conne, je chiale. On peut rêver mieux comme préliminaires.
J'ai envie d'être une autre, là tout de suite. Une qui porterait pas sur elle toutes ces couches superposées de tissu et de complexes triple épaisseur. Je voudrais que tu me désapes de tout ça, de toutes mes peurs, de ce dégoût de moi-même puissance un million qui me paralyse. Qui me prive de toi, qui comprime notre nous dans une prison aussi invisible qu'indestructible. T'as été patient. Tellement. Mais là je le sens bien, à ton épiderme en ébullition, que tu aimerais que je lâche prise. Que je te laisse enfin briser mes murs. Mon armure. Tes doigts chatouillent les draps, en attendant le sésame de ma peau. Et moi j'ai la tête vissée à mon oreiller , cherchant n'importe quel moyen de m'engouffrer dans ses replis.
T'aurais dû être un parfait enfoiré. De ceux qui te baisent et qui se cassent après. De ceux qui veulent rien entendre, rien attendre. Tout, tout de suite, et si t'es pas contente, je passe à la suivante.
A quoi ça t'as avancé, dis, d'être juste la meilleure chose qui me soit arrivée ?
Je voudrais pouvoir t'aimer en grand, avec tout dedans ... le bonheur, la douceur, les rires, et nos corps enveloppés dedans.
Toi t'es là, tu me souris parce que tu peux rien faire d'autre que d'attendre, que ça se décoince dans ma tête. Dans mon coeur. Dans mon corps. Et j'ai peur que t'attendes pas si longtemps. J'ai peur que t'attendes trop aussi, et que ça n'arrive jamais à temps.
Pourquoi tu restes ?
Je voudrais te dire, je voudrai gueuler, que je te veux plus que tout. Mais y a cette distance entre toi et moi. Ce poids, ce moi nécrosé qui fait barrière à nous.
Et qui gâche tout.
*** FACE ***
Je sens l'implosion. Je me sens tomber. J'essaie de me concentrer pour avoir l'air d'être zen. Tu sais que je le suis pas, et je sais que tu le sais, mais on fait comme si, à deux, et j'aime ça aussi. Un coup d'oeil sur mon tee-shirt Snoopy me dit qu'on repassera pour le côté sexy. T'as joué l'effet de surprise, et je crois que de toute façon, j'aurai jamais été prête à l'entendre alors mieux vaut que ce soit devant la télé. J'aurai préféré que ce soit pendant la démonstration des bottines tous temps beiges mais dans la vie on a pas tout temps ce qu'on veut hein.
Je crois que me voir avec tes yeux, c'est la chose la plus balaise que j'ai eu à faire, et c'est encore loin d'être gagné. Mais tu gagnes du terrain. Tu me bouscules, et contrairement à la chanson, je me réveille, pas à pas. Et c'est un marathon, tu le sais ça, mais t'as de bonnes baskets pour parer à mes intempéries. Et dans tes bras, je m'oublie. Je ne suis plus que ma nuque qui frissonne sous ton souffle.
"Moi aussi..."
Toi, tu crois tellement en la vie, en moi. C'est presque indécent. On a pas le droit d'être aussi doué pour le bonheur, ça devrait être illégal, tellement c'est bon. Mais là, tu vois j'angoisse. Parce que je suis moi, parce que tu es toi. Je t'ai perché si haut, je suis pas sûre de pouvoir grimper te rejoindre.
Je sais pas quoi faire, moi, de ton regard qui a faim. De tes mains qui cherchent des réponses, elles ont de la conversation qui plus est. Et elles ont le méritent de savoir me faire taire.
Toi t'as l'habitude. Tu me sais. Je suis presque sûre que tu devines les chemins tortueux que j'emprunte dans ma tête, avant de revenir à toi. A nous. Et tu t'en fous, je sais pas comment tu fais, pour m'attendre, chaque fois, sans jamais me donner l'impression que j'ai manqué des choses, que je t'ai manqué toi.
Je te regarde, presque dans les yeux. J'ai une sacrée trouille de ce qu'on peut être, juste après. De ce que ça peut casser comme prisons, de ces nouvelles libertés. Mais tu es là, tout proche. J'ai le coeur qui s'accroche pour pas exploser. J'ai chaud, froid, et l'impression qu'y a un paquet d'insectes dans tout mon corps, qui fait la java.
Je dois pas me laisser tout ruiner, d'accord ? Oui d'accord. J'arrête de penser, y a rien de sensé, et on s'en fiche ! Je peux pas m'aimer, mais toi t'as réussi pas vrai, je sais pas comment, mais je vais pas foirer tout le boulot d'architecte que t'as fait dans ma tête, dans ma vie, mes vides. Je peux pas continuer à perdre autant de temps, à pas oser t'aimer en grand.
Tu m'as assez attendue. Tu m'as assez entendue.
J'éteins la télé et range mes craintes mal placées au pied du lit, avec mon tee-shirt Snoopy.
Je peux pas nous foutre en l'air, mieux vaudrait nous y envoyer.
TIP TOP COOL !
· Il y a environ 10 ans ·Excellent cette histoire de Pile/Face. Et tes mots bien choisis, et tes tournures de phrases. Comme ces mains baladeuses qui ont de la conversation. ça me plaît tout ça, c'est joliment dit, bien exprimé, puis c'est un peu comme si on plongeait dans sa tête, dans ce bordel d'architecture moderne (ou pas) et c'est top.
dreamcatcher
J'adore, le style est juste superbe, les mots sont poignant et délicat en même temps. De quoi nous donner ce fameux sourire-amer.. Et les fins sont toutes très bien menés, c'est vivant. Vraiment, bravo, et merci pour ce moment.
· Il y a environ 10 ans ·Au plaisir !
mamzelle-plume
Merci, vraiment, pour tes commentaires, et tes coups de cœur, ça me touche :)
· Il y a environ 10 ans ·rafistoleuse
C'est un plaisir de te lire, ne me remercie pas :)
· Il y a environ 10 ans ·mamzelle-plume
Original et prenant !
· Il y a plus de 10 ans ·Mathilde En Soir
Aaaaah j'adooooore la dernière phrase du face ! Bon, bah moi j'mets la pièce sur la tranche, parce que j'aime les deux parties. C'est vraiment un beau texte, très parlant ! J'imagine la part de vrai, et tu sais, même si ça en a pas l'air, cette micro apocalypse, on passe toujours par là. A chaque fois.
· Il y a presque 11 ans ·octobell
Merci beaucoup Mo ! (c'était un texte qui faisait partie des cadeaux sur le forum^^)
· Il y a presque 11 ans ·Je ne peux qu'imaginer, que tu as raison :)
rafistoleuse
j aime toujours beaucoup vos personnages, belle description du sentiment dépressif...bravo!
· Il y a presque 11 ans ·marjo-laine
Dépressif est un mot un peu fort ^^, mais merci beaucoup en tout cas ! ;)
· Il y a presque 11 ans ·rafistoleuse
j'ai craqué pour pile mais j'aime bien aussi la fin de face :)
· Il y a presque 11 ans ·charlie_ecrit
Si on aime les deux, c'est encore mieux ^^'
· Il y a presque 11 ans ·Merci !!
rafistoleuse
C'est chouette!!! tres bonne idee!cdc
· Il y a presque 11 ans ·Sweety
Merci, merci !!
· Il y a presque 11 ans ·rafistoleuse
Jouer ou jouir... comme c'est bien dit rafistoleuse,, mais tu sais je crois que je suis comme toi, timbrée, amoureuse,.... c'"est pour ça qu'il t'aime... COEURSSSSSSSSSSSSSSS
· Il y a presque 11 ans ·Helene Bartholin
Ce texte est une fiction, mais il y a du vrai éparpillé... En tout cas merci beaucoup, vraiment !
· Il y a presque 11 ans ·rafistoleuse