Non assistance à personne en danger

Vous avez tous vu ou entendu parler de ce fait tragique, de cette femme agressée dans le métro lillois cette semaine, dans l'indifférence générale des passagers, lesquels sont peu ou prou passibles d'une condamnation pour non assistance à personne en danger. J'espère que le Procureur va poursuivre et tous les condamner.

Cette histoire me consterne sans m'étonner.

Il y a une petite trentaine d'années, alors que j'étais étudiante en 2° année de droit et rentrais chez moi à Lyon en empruntant la rue Saint Jean (piétonne), en plein jour au milieu d'une foule de touristes, je me fis alpaguer par derrière par un homme violent et manifestement drogué, dont les intentions étaient claires: me violer et me faire faire le trottoir, me tuer si je criais. Tout le monde s'écarta en me laissant me débattre avec ce type dont les mains comme des étaux me laissèrent des hématomes au-dessus des coudes pendant 3 semaines et me firent faire des cauchemars pendant des lustres. Mais le pire fut ce jeune couple passant à nos côtés et auquel je demandai de l'aide, suppliant qu'ils se rendent au poste de Police situé à 500 mètres. La femme dit à son mari en me regardant sans ciller: "laisse tomber, c'est une pute".

C'était une fin juillet. J'avais 22 ans, portais une robe noire sur laquelle j'avais passé une chemise à manches longues. Aux pieds j'avais des ballerines plates. Le couple s'en alla en me laissant en plan, ce qui fit ricaner d'un plaisir sadique mon agresseur: "tu vois, personne ne t'aidera!" Et même si j'avais été une "pute", Madame, qu'est-ce que ça aurait changé? 30 ans que la question me taraude.

Je suis affligée de constater que des années après, des femmes continuent à se faire agresser sans que quiconque ne lève le petit doigt, pas un homme et même pas d'autres femmes! C'est honteux. Le tableau criant d'une lâcheté collective et la preuve, s'il en fallait une, que notre société va très mal, est en perte complète de repères, vire à un individualisme déshumanisé, marche sur la tête, que beaucoup ont rayé de leur carte de programmation comportementale les lignes "altruisme", "bon sens" et "courage", pour les remplacer par "égocentrisme", "soumission" et "lâcheté".

Je souhaite beaucoup de courage à cette femme pour s'en sortir, car ce genre d'agression laisse des traces pendant des années et des questions plein la tête: pourquoi moi? J'ai l'air de quoi pour que personne ne soit venu à mon secours? L'ai-je mérité? Honte et culpabilité. Dévastateur pour la psyché. Subir un acte de ce genre consiste à absorber une dose massive de violence externe, d'autant que l'agression est gratuite et inopinée, que la victime ne peut en aucun cas l'anticiper, qu'elle va devoir  mobiliser toutes ses ressources et son énergie vitale pour se défendre, y compris sa propre agressivité à son corps défendant.

Je ne sais pas si les gens qui étaient là et n'ont rien fait se rendent compte à quel point des agressions de ce type engendrent comme peur panique, montées d'adrénaline, angoisses de mort, génèrent ensuite de comportements d'hyper-vigilance et de phobies. Difficile quand on sort ensuite dans la rue de ne pas regarder derrière son épaule, de ne pas scruter les comportements des autres, de se retrouver serrée dans un transport en commun sans se mettre à transpirer à grosses gouttes, d'aller au ciné seule...

Et combien y-a-t-il de femmes qui vivent avec ce genre de trauma sans jamais avoir osé en parler?