Nous ne parlons pas la même langue.

V. Quéprina

Bonsoir Yvan,

J’ai bien reçu tes dizaines de sms, tes mails et les nombreux messages que tu as laissés sur l’ensemble de mes profils de réseaux sociaux.  Pendant les huit mois où nous sommes sortis ensemble, j’ai tout fait pour limiter les conflits entre nous ;  j’ai accepté l’intolérable, j’ai fermé les yeux, j’ai réprimé toute la colère qui montait en moi pour préserver notre idylle. Mais certaines choses sont trop destructrices pour que l’on réussisse à les étouffer totalement.

J’ai adoré notre rencontre. J’étais célibataire depuis quelques temps déjà, et mes histoires d’amour précédentes m’avaient rendue terriblement méfiante. Mais avec ta délicatesse, tes yeux plein de désirs et de chaleur, tu as réussi à me faire retrouver ce que je pensais à jamais disparu. Je trainais, cigarette aux lèvres, dans un bain de soleil en terrasse, ruminant mes malheurs passés.  Alors, lorsque tu t’es penché sur moi pour me rendre la barrette en forme de fleur que j’avais laissé tomber, j’ai succombé. Immédiatement.  S’en est suivi un après-midi digne des plus grands films romantiques ; de franches rigolades (cette blague, avec le cochon tu t’en souviens ?), des instants de douceur infinie, et cette incroyable tendresse qui nous a envahi lorsque tu m’as soudainement enlacée. Lorsque vint le moment de nous séparer, on s’est promis de se revoir le plus tôt possible. On a échangé nos numéros, et je suis partie, le cœur plein d’une liesse irréductible, rien ne semblait pouvoir m’ébranler.

Et ça a commencé. J’ai reçu ton premier message sur mon téléphone. Mon cœur s’est arrêté de battre. Comment aurais-je pu savoir que cet homme formidable avec qui j’avais passé toute ma soirée faisait partie de ces gens ? Ce simple texto fut une douche glaciale pour moi. Je venais de prendre connaissance du fossé, que dis-je, du canyon qui nous séparait. Moi, amatrice de la langue de Molière, amoureuse de littérature, férue de mots et d’expressions français, je venais de tomber amoureuse d’un « lol-boy ».

Mais si, tu sais bien. Ce type de garçon qui a l’air tout à fait respectable au premier abord mais qui méprise l’orthographe et la grammaire depuis –sans doute – l’école élémentaire. Ce genre d’homme qui lance des compliments par SMS que l’on est obligé d’énoncer à voix haute pour comprendre.  Oui, tu es comme ça. Alternant abominables abréviations et smileys ridicules, phonétique et personnages animés, te donnant la consistance intellectuelle d’un syndrome de retard mental.

Pourtant, bafouant mes principes les plus profondément ancrés en moi, je suis passée outre. J’ai fait avec tes « jtem » et autres homicides littéraires, j’ai même tenté de t’écrire un « mdr », un soir où je me sentais d’humeur  téméraire. Mais plus les jours passaient, plus ces petites attaques visuelles s’accumulaient et me rongeaient de l’intérieur. Tu me sentais plus distante, et tu t’en inquiétais.  Tes efforts pour attirer mon attention en changeant de coiffure ou en m’offrant des fleurs me faisaient profondément culpabiliser.  Parfois je me mettais en colère sans parvenir à t’expliquer pourquoi, entrainant toute sorte de tensions et de malaises.  J’avais l’impression de nous tuer à petit feu.

Aujourd’hui, je ne peux continuer comme ça. Ton onzième texto et ton troisième message gravé sur le mur de mon profil Facebook m’ont confortée dans ma décision.  Je suis sincèrement navrée que tout se soit passé de cette manière. Alors que nous aurions pu être les plus heureux du monde, tout se termine dans les larmes et la souffrance. Je suis désolée de ne pas avoir su faire un atout de nos différences, mais il est évident que nous ne parlons pas la même langue.

J’espère que tu me comprendras malgré la quantité de lettres considérable qui forme mes messages par rapport aux tiens.

Je t’embrasse.

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