Où l'on finit par convoquer une réunion extraordinaire

Mathieu Jaegert

Rappel :

Huckminz, le patron du célèbre Guide Universel des Journées Mondiales,  vient de conclure un marché avec Mark Zückerberg, le fondateur de facebook, qui a une idée derrière la tête suite à sa mésaventure lors de la Journée sans facebook. Yves, inspecteur gradé du Guide, va être mis au courant. Il achève ses missions au cœur des Cévennes. (Journées Internationales de la lenteur, des zones humides,…)

Yves s’était accommodé de la lenteur apparente fragilement accrochée aux contreforts cévenols. Il s’était fait la promesse de l’adopter une fois replongé dans la frénésie artificielle de sa vie de banlieusard.

Le bruit de son téléphone l’avait extirpé brutalement de son compte-rendu, à tel point qu’il s’était demandé si quelqu’un n’avait pas déréglé le volume. Il avait souri en percevant d’inhabituelles intonations dans la voix d’Huckminz. On aurait dit que l’agitation inaccoutumée de son patron avait eu une influence sur la sonnerie de son portable. Il avait eu beaucoup de mal à comprendre l’intégralité de l’intitulé de la nouvelle journée que proposait le chef avec un enthousiasme qui décidément détonnait. Le pourquoi du comment lui échappait également, de même que le pourquoi du maintenant. Finalement, il avait fallu que Huckminz se fende d’un récapitulatif contre son gré, en adaptant le débit aux oreilles de son inspecteur non préparées à recevoir ce flot de nouvelles incongrues. Yves s’était soudain demandé si Huckminz ne devait pas lever le pied, ignorant que son directeur s’était lui-même posé la question une heure auparavant avant de faire volte-face suite à l’appel du patron de facebook. Vers quel bourbier allait-il encore conduire ses agents ? « Une Journée Mondiale de la poésie anisée sur les réseaux sociaux en collaboration avec Mark Zückerberg »…Ce serait sans doute la plus longue appellation du Guide ! Et pourquoi pas, puisque la journée de la météo se profilait à l’horizon encombré de dates à célébrer, celle de « la poésie anisée sur fond de jargon et de climat cévenols dans les abysses virtuels des réseaux sociaux » ? De quoi figurer également dans le livre Guiness des records. Il avait songé à appeler ses anciens collègues, friands et à l’affût de ce genre de performances farfelues. Un comble quand-même, le livre des records faisant apparaître une des journées défendues par le Guide Universel des Journées Internationales, Mondiales et Nationales ! Une aubaine en réalité, un effet publicitaire par ricochet !

N’empêche, il voyait mal le chef, allergique à l’informatique, faire affaire avec Zückerberg. Lui qui comprenait plus facilement la phrase « le bureau possède un ordinateur » que « l’ordinateur possède un bureau » aurait besoin des meilleurs conseils si négociations il y avait. L’injonction qui avait suivi prouvait cependant que ce n’était pas une blague. Déterminé à redorer l’image de l’institution, Huckminz convoquait dès potron minet mercredi ses plus hauts gradés autour d’une réunion au sommet pour se mettre en ordre de bataille. Les mots étaient délibérément forts :

« Avis de tempête, ça va souffler dans les rangs et fuser dans les têtes ! On va tout renverser sur notre route », avait-il prévenu. Il ne se rendait pas compte que son inspecteur était sceptique, et les répliques d’Yves n’avaient rien arrangé :

-          Oui patron, c’est tout à fait ça, d’où l’expression « brain storming » !

Yves n’ignorait pas les lacunes rédhibitoires de son patron en matière de langues étrangères. Il avait poursuivi, tentant de l’amener sur d’autres terrains :

-          Dîtes, vous savez que c’est bientôt la Journée Européenne de la glace artisanale ?

-          Européenne ?

-          Européenne, mondiale, peu importe ! Une journée de la glace, patron, ça ne vous choque pas ? On vient de me mettre au parfum…

-          Mais…Pourquoi tu me parles de ça, elle arrive comme un cheveu sur la soupe, celle-là ! Et en parlant de cheveux, arrête avec tes jeux de mots tirés par le peu qui te reste sur le caillou ! Allez, on en parle mercredi. Déboule sans barguigner…

-          « Déboule », patron, c’est la clinique qui se fout de l’hôpital ! Et en effet, mes jeux de mots sont parfois tout aussi pertinents que certaines Journées mises au calendrier, si vous voyez ce que je veux dire…D’ailleurs, la veille de la journée des glaces, il y a celle de la météo et des boules de n…

-          Stooop ! Avait hurlé Huchminz…Prends tes clics et ta connerie et ramène ta fraise !

Il ne lui avait pas laissé le temps de répondre.

En effet, ça allait chauffer mercredi dans la sorbetière de Huckminz, sorte d’anti-chambre, de laboratoire d’essais avant le brevetage des Journées.

Yves s’était mis à faire le point sur l’aventure, l’ombre du Mont Aigoual comme fidèle compagne de ce séjour gardois. De la lucarne de sa chambre mansardée, il apercevait le sommet qui semblait, de sa carrure imposante, intimer l’ordre à la brume récalcitrante de poursuivre sa route. Au Guiness des records, il était plus peinard. Dans quel embrouillamini avait-il été se fourrer ? Son c.v. y laisserait des plumes et quelques lignes.

Toutefois, en commençant à rassembler ses affaires, il avait préparé consciencieusement son argumentaire de défense des Journées de la Météo et de la glace.

Au moment de prendre la parole au cours du tour de table dans le bureau du chef, il savait maintenant qu’il y avait moyen de rire. Et c’est ce qu’il avait fait ce soir-là, la vallée comme complice, et ses hôtes comme témoins. En se remémorant certains dictons et le best-of des perles des présentateurs de la météo, il avait été pris d’un fou rire communicatif. Les meubles de la petite chambre, ainsi ébranlés par les éclats de rire de Yves, s’en souviendraient longtemps.

Pas plus tard qu’hier, la titulaire du bulletin matinal avait prédit une couche de neige, trois centimètres qui tiendront au sol. Très drôle. Et quand ça ne tenait pas, comment on s’y prenait pour les mesurer, les trois centimètres ?

Gare aux sorties de route tout de même. Huckminz aimait rire, mais l’embardée humoristique était si vite arrivée !

Requinqué et empli de nouvelles certitudes, Yves était descendu annoncer son départ imminent à Martin et sa famille. Il se posait une seule question : et si Ernestin décidait, enfin, d’apporter son grain de sel ?

…A suivre…

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