Parler de rien, pas si simple !

Mathieu Jaegert

Mieux vaut donc l'écrire...

Qu'on le veuille ou non, parler de rien n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Si faire des histoires pour rien est à la portée de tous, construire un récit cohérent sur rien relève si non de l'exploit, au moins d'une entreprise délicate. De plus en plus compliquée d'ailleurs, tant ledit pronom est facétieux. Le bougre se rebelle, agacé qu'on lui accole le qualificatif d'indéfini. Susceptible, le coco, un rien le vexe ! Sa déclinaison en devient périlleuse, nous obligeant à des contorsions lexicales et autres acrobaties. Pour lui, on en rajoute ou, au contraire, on se soustrait à nos obligations. Un rien digne de ce nom nous pousse dans nos derniers retranchements. Le rien est bourré de paradoxes, tout à la fois sans calcul et maître des opérations. En fonction de sa position dans la phrase, il change tout. Ainsi, rien décliner, ou décliner rien, c'est à la fois accepter de s'occuper de tout et de rien, rien que de rien. Vous suivez ? Difficilement ? C'est bien la preuve que rien nous échappe ! Intenable et indomptable, il faut en permanence le remettre à sa place. Les règles sont loin d'être évidentes, et lui en joue, se faisant un malin plaisir à user d'exceptions dès que le verbe ou l'auxiliaire lui en donne l'occasion.

Rien est en perpétuelle quête d'innovation, toujours en mouvement. Pourtant, de nos jours, on ne s'étonne plus de rien ! Imperturbable, il essaie de prendre de la hauteur, devenant aérien, capable des plus belles envolées à caractère baudelairien ! De là à dire qu'il nous prend de haut, il en faut peu. Sans doute parce que Monsieur a pris de l'importance sur le marché depuis le passage à l'Euro. S'il valait deux francs six sous, quid de la plus-value réalisée ? Il doit peser désormais trois fois rien, voire un peu plus ! Pas étonnant dès lors qu'il s'enhardisse de la sorte. On se compare à lui, mais on ne s'aventure surtout pas à le comparer à un autre, si ce n'est à lui-même. Et si vous n'avez pas saisi le sens de cette dernière phrase, c'est que vous ne comprenez rien à rien, ce qui illustre justement le propos. De toute façon, rien ne ressemble plus à un rien qu'un autre rien ! On dit en outre moins que rien, mais plus que rien n'existe pas, la preuve d'une certaine perfection. D'ailleurs, plus que rien, c'est trop ! Et trop, c'est trop, comme disait souvent je-ne-sais-trop-qui à propos de je-ne-sais-trop-quoi.

Bref, maintenant, rien se permet tout. Il lui faut toujours plus. Exigeant, il s'accole au premier préfixe venu, s'associant pour un rien. Il paraît que ce n'est pas toujours facile de s'en accommoder, comme en témoignent certains exemples connus. Les avis sont mitigés.

Ainsi, l'épicurien se satisfait de rien alors que la plupart des terriens râlent, jamais contents, ne se rendant pas compte qu'ils ne sont rien ici-bas. Les acariens, quant à eux, chipotent constamment, cherchant la petite bête. Pour leur mener la vie dure, rien s'est même entiché de pontes de la grammaire, d'éminents grammairiens.

Avec rien, il s'agit de trouver le juste milieu. L'exemple suivant est frappant. Si le Flandrien est un Belge sachant apprécier la valeur de rien, le tire-au-flandrien, son homologue, ne respecte pas ses valeurs, préférant ne rien faire avec rien.

Quoi qu'il en soit, pour l'écriture, le mieux est d'être toujours en avance d'un rien. Ou d'avoir plusieurs riens dans son sac, de le remplir même, car il est bien plus facile de vider son sac lorsqu'il est plein de riens. Il suffit alors de miser sur le bon. Et je peux vous assurer que lorsque l'on n'a rien à dire, c'est plus facile de l'exprimer par écrit !

La preuve…

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