Passé passé.

Marcel Alalof

                                               Passé passé

Je suis dans cette rue que j’ai quittée le 5 juillet 1990,juste avant que mon frère ne meure. 10, rue…, l'adresse de mon passé qui compte, l'endroit où je me suis refait, recréé, ressourcé, avant de replonger et de me refaire. Toute la rue appartient à une mutuelle d'anciens combattants.

Je ne suis pas loin du portail d'entrée de fer forgé noir, aux motifs Art Déco. Sa vue me remet en mémoire le couloir de l'immeuble, ses murs blancs, son miroir 1930 biseauté, la porte vitrée de la loge de la concierge qui repassait mes chemises, le sol de mosaïque moucheté de noir, beige et marron.

Je longe l'allée de boîtes aux lettres qui mène à l'ascenseur. Je les parcours du regard, sans m'arrêter. Bien sûr, mon nom n'y figure pas.

Je me souviens du bruit de la machinerie de l'ascenseur qui n'avait jamais été modernisée. Il m'avait fallu plusieurs mois pour m'y habituer. Un bruit implacable de monte- charge industriel, qui me glacait les sangs lorsqu'il se faisait entendre la nuit. J’étais, à chaque fois, persuadé qu'une personne non souhaitée ni invitée venait pour moi.

La porte extérieure de métal noir de l'ascenseur adopte le même dessin que celui du portail. J'appuie sur le bouton.  La lumière rouge clignote. Pas de bruit de monte-charge, plutôt un roulement léger de tambour. Tout passe.

J'écarte la grille en accordéon. J'appelle le septième étage. Les paliers défilent, mes souvenirs aussi. Essentiellement, des visages. L'ascenseur  s'immobilise. Je réalise que je suis arrivé.

Mon coeur s'accélère. Je respire à fond. Huit ans déjà, et il n'y a toujours pas de nom sur la porte. Aucun son, aucun bruit de discussion  de radio.. Je sonne. Rien !

Je vais repartir, mais je décèle l'ombre d'un mouvement dans le rai de lumière qui filtre sous la porte.

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