"petits drames intérieurs" (suite)

Manou Damaye

2- « Moi c’est pareil »


  Cela fait maintenant deux ans que Leniscka est danseuse dans la compagnie Lalala. Elle a envie de danser une vraie partition pour cette nouvelle pièce. Bosseuse, acharnée, perfectionniste, un corps travaillé, musclé avec une âme aussi complexe que ses origines mélangées. Des pieds et des yeux noirs du sud, une confusion de sentiments de l’est, des racines venant du nord, tout ça dans un corps d’un 1,70m sur son CV , réduit à 1,63m pieds nus. 

   Leniscka ne fume pas. Marielle non plus d’ailleurs, elle profite de ce break pour étirer ses longues jambes fines à la barre. Marielle sait qu’elle peut compter sur elles. Leniscka, au sol se perd dans un écart facial et une rage au court bouillon.  Elle sait que fumeurs et fumeuses dealent leurs poumons et leurs sourires pour un rôle à tenir. Que faire ? Fumer, faire la pute ? Santé, orgueil, besoin  d’être reconnu pour ce qu’elle est ? Ce carré fumeur l’emmerde ! Alors elle parle tout haut, à Marielle puisque Marielle est là, à s’étirer, à ne pas fumer.

- C’est la même chose à chaque créa, même Thierry et Clara se mettent à fumer. C’est pathétique ! Tu vas voir, on met les mêmes et on recommence ! Si tu ne fumes pas en faisant hahaha à ses blagues à deux balles, t’es mort tu deviens transparente. J’en ai marre ! J’ai envie de…

- Moi c’est pareil !

 Leniscka s’allonge au sol,  le temps d’une respiration, le temps d’un étirement. Le temps de digerer cette petite phrase. Ce n'est pas si grave si Marielle lui a coupé la parole pour lui lancer cette petite phrase. Une simple petite phrase venant d'une amie. Tout du moins d'une danseuse, non fumeuse. Une phrase pleine d'empathie. Après tout elle n'avait cas se taire, aller dehors avec les autres.  Elle était bien contente d'avoir une oreille pour absorber ses humeurs. A l'intérieur il n'en va pas de même

« MOI C’EST PAREIL » Comment MOI pourrait être pareil à moi ! Alors ainsi je deviendrai deux fois transparente ! D’abord, cachée derrière le nuage de fumée des amazones prêtes pour « Le tabac tue » et maintenant, effacée par MOI, le moi de Marielle avec ses longues jambes qui n’en finissent pas de s’étirer à la barre.  Je refuse ! Je vais faire un bruit incongru, un de ceux qui prouvera à son moi qu’en aucun cas, MOI C’EST PAREIL ! Je vais appeler mes enzymes gloutons du fin fond de mon estomac.


- Enzymes, garde à vous ! Repos ! A mon signal en rang au bord du duodénum ! En avant marche !


Je vais mettre un coup de ramdam dans la tuyauterie et faire sortir une bombe ! Une bombe si violente, si sonore, si pestilentielle qu’elle comprendra, cette Lenicka, que  plus jamais elle ne laissera quelqu’un l’effacer derrière un  « moi c’est pareil » ! La voila qui se tait,  se terre,  avale de l’air,  gobe les mots et les mouches et cela depuis son enfance depuis que sa petite sœur disait « moi aussi…moi moi moi … moi c’est pareil »


 L’orage gronde, son  ventre commence à faire des vagues.


Il suffirait qu’elle lui dise : Laisse-moi finir ma pensée ! Ne serait ce que cela, finir sa pensée ; plus tard elle oserait finir sa phrase, son idée, avoir le droit d’exprimer sa différence ! Les « moi c’est pareil »  c’est son carré fumeur, son deal avec la mort ! Le tabac tue, et la double transparence alors !


  Ca y est, son ventre est gonflé comme un ballon de rugby. Bien jouée mon armée ! Va-t-elle enfin…va-t-elle enfin faire autre chose que d’essayer de rentrer son ventre, de serrer tous ses sphincters. Va t elle lâcher l’air qu’elle gobe depuis 18 ans, depuis que « moi c’est pareil » lui coupe la parole, pollue l’air qu’elle respire. Quand va-t-elle mettre toute son énergie pour rentrer en compétition avec son « carré fumeur » avant que l’autre ne reviennent envahir le studio, nappé de sa puanteur de tabac froid !


 Respire, parle, exprime, dit, dévoile, explose, existe, charme, vit, séduit, danse !


- Marielle, j’en ai marre que tu me coupes la parole avec tes « moi c’est pareil » !

- Pas de problème « Lenka ». Je voulais juste te dire que je suis d’accord avec toi !

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