Rue Paul Bert

parismrs

J'aime ça d'habitude être seule, mais ce soir j'en ai pas envie, ce soir j'en peux plus, j'ai la gorge sèche et un goût de déjà trop dans la bouche, l'angoisse en escale sur le comptoir à attendre qu'enfin ma journée se noie dans du mauvais vin. J'aime ça d'habitude être seule, mais ce soir j'en ai pas envie, ce soir je veux coller ma tristesse à n'importe qui, j'veux avoir seize ans encore une fois, sentir ce frisson compulsif et rire trop tard des heures trop longues.

Y' a la musique trop douce ou déjà trop écouté, les cris, les verres qui se cognent, qui claquent tout autour et moi j'suis au milieu d'ce bar, seule, alors, j'plante mes yeux dans le décor, comme une vielle habitude, j'laisse trainer une oreille sur les histoires d'ces filles et d'ces hommes que je reverrai jamais, sur leur histoires de boulot, de métro, d'averse et de file d'attente, des bavardages en ombrelles qui couvrent leurs silences.

Puis y'a ce type, là, appuyé contre le zinc, qui fait tourner son verre entre ses doigts, qui regarderait presque ses pieds s'il en avait pas marre de la crasse

Y'a ce type, là, mais j'crois qu'il ne me voit même pas, pourtant je sais pas, j'ai envie de lui dire tout, n'importe quoi, de lui dire que mes journées, c'est des putains de tunnels sans fond, mes nuits des routes sans fin que je trace et retrace, je voudrais lui parler pour oublier, pour espérer, même cinq minutes, lui dire que ça fait des mois que j'ai pas senti mon cœur bouger, mais que ce soir ses yeux remplis de bière et d'amer l'ont un peu remué, je voudrais lui dire qu'il faut qu'il reste un peu dans ce bar, dans ce trou à rats de la rue Paul Bert, au comptoir, à côté de moi.

 

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