SCOOP : le sujet d'entrée à Sciences Po'

Mathieu Jaegert

Après avoir brillamment porté le taux de réussite au BAC vers les records grâce à mon sujet de rattrapages, les hautes autorités de l’Etat m’ont confirmé leur confiance et leur incompétence en me confortant dans mes fonctions de rédacteur. L’an prochain, il faudrait finir par dépasser le taux de 100%. Le ministère de tutelle m’a confié cet objectif sans sourciller, persuadé que c’est envisageable, fort de l’explosion des notes supérieures à 20. Je n’ai pas souhaité les contrarier et me suis contenté de sourire tout en plongeant dans la confection roborative de l’épreuve d’admissibilité à l’Institut d’Etudes Politiques, plus communément appelé l’IEP ou Sciences Po., voire Sciences Pipeau par ceux qui conservent un brin d’humour en sortant formatés de cette lessiveuse de cerveaux. Il ne m’a pas fallu longtemps, entraîné par mon élan de rédacteur polyvalent, pour dégoter dans l’actualité quelques sources d’inspiration forcément bien senties. Mon libellé témoignera de ma volonté de démocratiser l’accès à l’école. Mais que personne ne se méprenne, l’énoncé suivant ne souffrira d’aucune facilité. Il est hors de question de mâcher le travail, même s’il sera pourvu de nombreux exemples susceptibles d’attirer les meilleurs commentaires. Un des principes biaisé de l’enseignement de ce genre d’écoles est d’apprendre à penser, à construire un raisonnement. Mais à Science Po’, on apprend à penser comme les intervenants, selon un programme pédagogique bien rôdé donnant le change, et trompant même le plus brillant des étudiants. Cette année, le concours favorisera donc les plus habiles manipulateurs capables de tenir tête aux enseignants. Le barème sera élaboré de manière à faire pâlir les professeurs déjà en vacances et à peine bronzés, et qui ne se doutent encore de rien. Le contexte étant posé, dirigeons-nous sans plus attendre vers le cœur du sujet.

Pour tenter de redonner quelques couleurs à sa formation, le trublion de la Droite forte, Guillaume Peltier, a organisé à grands renforts de papier crépon, de crêpages de chignon et de cépages de Chinon, la première fête de la Violette. Le sujet du concours m’est alors apparu comme une nouvelle évidence. Le voici :

« Vous démontrerez l’influence du champ lexical végétal en politique.

Pour ce faire, vous vous baserez d’abord sur l’histoire de la fête de la rose bientôt rebaptisée fête de la tulipe en un clin d’œil au patronyme du Président de la République et à son sens de l’humour indécrottable. Vous noterez d’ailleurs que son Ministre de l’Intérieur a engagé tous ses bras droits et l’ensemble de son cabinet pour retenir le nom de Fête de l’EdelValls, Harlem n’ayant pas accédé à ses désirs, la pointe humoristique n’étant pas assez fine.

Vous développerez votre raisonnement autour des scènes désopilantes de cette première fête de la violette. Pour rappel, on a bien failli la renommer fête de l’œillet tellement la décoration rappelait cette fleur, puis fête de l’œillade tellement les clins d’œil entre protagonistes étaient faussement appuyés, et enfin fête de l’œillère tellement les dirigeants nous invitent royalement et sans la moindre gêne à foncer dans le mur avec eux.

Aucune mesure n’y a été égrainée, aucune graine d’humanité plantée, mais un paquet de grains de folie éparpillés au vent estival. Les sujets épineux et spirituels ont été évités avec soin au profit des spiritueux. Quant aux jeunes pousses, elles ont tenté de supplanter les vieilles plantes recroquevillées, elles, sur leurs souches de chéquiers, apportant un blanc-seing au remplumage organisé. Les rangs clairsemés ont ainsi vu ressurgir les formules caduques et les phrases toutes faites ont connu une seconde jeunesse : l’herbe est toujours plus verte ailleurs, c’est l’arbre qui cache la forêt, on s’accroche aux branches comme on peut, et j’en passe des vertes, des violettes, et des pas mûres.

Deux jours plus tard, le loup fier est sorti du bois pour un retour tout juste grimé, alors que les coups fourrés pleuvaient depuis les buissons encore ardents. Cette grande tige de Guillaume Peltier, lui, envisage déjà de transformer la fête de la violette en fête du coquelicot, et très rapidement en fête du calicot aux couleurs aveuglantes d’un parti en déconfiture.

Mais c’est assez, ces indices suffiront.

Après avoir rappelé l’influence florale dans le monde politique, et ce en n’hésitant surtout pas à abuser d’un langage fleuri, vous démontrerez à coup d’allégories végétales ou arboricoles, que ce blanc bec de Guillaume Peltier aurait dû passer par Sciences Po’ avant de se lancer en politique. Cette question subsidiaire devra révéler votre sens de l’absurde.

Il va de soi que tout ce qui peut vous paraître aberrant ou incohérent n’est pas à proscrire. Vous verrez en effet - ou pas - qu’une fois formaté, vous ne vous rendrez plus compte de ces contradictions pourtant flagrantes. Comme eux. »

  • Toujours aussi délectable !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Seville place  d'espagne

    lydine

  • Fallait que je le lise, comme mon amoureux y travaille (en tant que prof).

    · Il y a presque 11 ans ·
    20141112 173659

    alcestelechat

  • J'aime beaucoup ce petit texte fleuri!

    · Il y a presque 11 ans ·
    Suicideblonde dita von teese l 1 195

    Sweety

  • Très bien dit.
    Les composants sont invités également à donner leur avis pour savoir si c'est l'arbre qui cache la forêt... Et lequel : le saule pleureur (Salix babylonica) ou l'arbre impérial (Paulownia tomentosa) !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • A quand la fête de la pensée ?

    · Il y a presque 11 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • J'aime ta façon de rentre tes textes intéressants, enrichissants tout en gardant parfois une dose d'humour pour garder de la fraîcheur, çà demande du talent et tu es loin d'en manquer, bravo !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Mains colombe 150

    psycose

  • A Sciences Pot çà va chier !!!

    · Il y a presque 11 ans ·
    Apphotologo

    Michel Chansiaux

  • Le problématique des lauréats de sciences po c'est qu'ils ont toujours tendance à couper la branche sur laquelle ils sont assis ! Brillante démonstration, merci prof

    · Il y a presque 11 ans ·
    La main et la chaussure

    Stéphan Mary

  • En fin de compte, tu pourrais faire une joli bouquet (final, demain c'est le 14 juillet avec feu d'artifice...)de toutes ces belles fleurs colorées. La royauté, c'est fini, j'ai remarqué qu'il n'y avait même pas la pointe de la fleur de lys qui dépassait... Quant au sujet de bac, qui pourrait être assez compétent pour corriger les copies... aveuglés par ces rouges flamboyants!!!
    CDC

    · Il y a presque 11 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

  • Quelle faconde débridée! je crois que ce serait la meilleure copie car je doute que les censés candidats auraient ton talent...Quant aux 100 % de réussite au bac, on y vient, ça rassure 'les masses' dont il faudrait quand même arrêter de se foutre !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Default user

    tendresse

  • Magnifique de drôlerie et de non-sens. En temps que prof, je souhaite qu'on t'engage réellement pour les sujets. Au moins, lors des corrections, nous aurions des raisons - objectives - de rire !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Si seulement les sujets de'examens pouvaient être aussi drôles !
    CDC pour moi car tes textes me font toujours sourire :)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Xanth ogre 92

    fafa95

Signaler ce texte