Six secondes

immenserouge

Six secondes. C’est le temps que mettra la petite sphère translucide pour atteindre le sol. La sphère c’est ma salive, le sol c’est celui de Paris. Et sur le sol il y a des gens et parmi ces gens quelqu’un va se faire cracher dessus. Tan pis pour lui, aujourd’hui tout le monde m’insupporte. J’ai envie d’insulter des inconnus, de me souler à la vodka, de dire à un enfant que le père noël n’existe pas, de marcher pieds-nus, de lire un livre en commençant par la fin, de photocopier mon cul, d’insulter un obèse, de pisser sur une église, de pousser quelqu’un au suicide et de jeter des confettis sur sa tombe.... Indifférente à mes humeurs, ma petite boule de salive flotte au dessus d’une marée de têtes pathétiques agitées par la houle des démarches robotisées. Je peux le voir même les yeux fermés.  Juste au coin de la rue passe celle qui se trouve trop grosse, avec son amie qui croit en dieu mais pas au réchauffement climatique. Devant elles celui qui est toujours en retard vient de bousculer celui qui, comme un con, a oublié ses clés. A la terrasse de café, sur la droite, il y a celle qui ponctue ses phrases de guillemets imaginaires qu'elle mime avec ses doigts. Elle discute avec celui qui a des nouvelles chaussures et qui est incapable de se concentrer sur autre chose. A ma gauche, celle qui est belle et qui le sait snobe celui qui a le vase qui va déborder à la prochaine goutte. Plus bas celui qui a une haleine pestilentielle croise celle qui ne compte pas parce qu’elle aime et celui qui veut agréer l’expression de vos salutations distinguées. Et puis à mes pieds il y a monsieur tout le monde, le pire de tous, avec son magnifique cerveau en peau de mouton. Ce monsieur tout le monde qui se rase de près, qui a une couleur préférée, qui fait sa demande en mariage à genoux, qui change de démarche quand il met des lunettes de soleil et qui pimente sa vie à coups d’enchères de dernière minutes sur eBay. Ploc ! Ca fait six secondes, mon crachat atterri finalement sur son épaule. Alors je ris. Je ris de monsieur tout le monde et de sa cravate hideuse, je ris de l’obèse du café dont la graisse coule des deux côté de sa chaise ; je ris du vieux à tête de con qui se bat avec les plis de son journal ; je ris de la mère qui parle du beau temps à son fils qui s’en fout royalement et je ris du pigeon agonisant qui traine sa vieille carcasse sur le trottoir. 

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