Soif

Je n'aime pas les dimanches. J'ai comme un  goût de rappel aujourd'hui dans la bouche. 14 ans et elle s'emmerde déjà. Elle entraîne sa copine chaque dimanche après-midi sur la grande route, à côté du village. Celle qui conduit à ce bal où elle pourrait retrouver ce garçon de 18 ans qui l'a chavirée un samedi soir de fête du quartier. Elle voit défiler les voitures sur la route. Comment faire ? Sa mère lui a interdit. Trop jeune. Vivement qu'elle soit plus grande, plus libre ! Alors, avec la copine en confidence, elles marchent en sautillant le long de la route, en créant à elles seules l'aventure, la rencontre, les retrouvailles, le désir, l'appel et la Soif de l'amour…

Le héros est ce garçon qui l'a chavirée.  Oui ! Puisqu'il l'a embrassée. Un vrai premier baiser. Sa sœur ainée, ayant déjà expérimenté cet acte, lui avait tout expliqué : du berk, au dégueulasse en passant par le goût de l'escargot etc… Effectivement, la bouche de l'amoureux plongeant dans la sienne, le « berk » salivant de sa sœur était revenu dans son trouble jusqu'à même se demander à quoi ce manège rimait et quel était le but au final de tournicoter deux langues dans une même bouche en s'efforçant tant bien que mal à ne pas s'étrangler, à ne pas baver… En plus non satisfait de lui offrir un baiser, le beau garçon lui en avait donné d'autres, interminables. À peine le temps de reprendre du souffle. Comme son héros lui plaisait, elle se laissait faire mais elle avait hâte que ça s'arrête pour mieux le regarder, parler ensemble, se tenir la main. Et puis danser encore avec lui. Enfin ça, elle l'avait fait, dans un slow, juste avant. Et c'est ensuite qu'il l'avait entraînée derrière l'église. Si heureuse qu'il la choisisse. Autant dire qu'il lui avait fait tilt dès le premier regard. Un coup de la foudre magistrale ! Il était si beau… Elle était belle aussi, je crois. Malgré son corps menu et plat de partout… Heureusement elle avait réussi à piquer un soutif que sa sœur ne portait plus. Mettre du coton à l'intérieur n'était pas évident, surtout que son sein gauche était vraiment plus petit que l'autre. Pourtant dessous, il y avait son cœur et l'amour, ça remplit tout. Oui mais bah ! Le corps est bizarrement foutu… Toujours un côté dominant. C'est comme les gens dans leur tête. Ils vont trop vite dans leurs intentions, ne songeant qu'à désaltérer leur propre gosier, ignorant au partage. Et puis il existe des sœurs malicieuses, comme la sienne, qui lui avait annoncé fièrement que ce garçon sortait avec sa meilleure amie du lycée. L'amour est mal foutu. La vie aussi.

J'erre encore le long de la route le dimanche, seule. Le bal n'existe plus. Le garçon a disparu. Le soutif s'est déchiré, plus besoin d'en porter. Le côté dominant est accablant. Pas sûre de vouloir grandir, d'être libre ! C'est mal foutu. En toute confidence, en passant ma langue sur mes lèvres, je crois que j'ai soif. Faut-il l'écrire encore ? Je n'aime pas les dimanches.

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