À Sète

george-w-brousse

Je ne retrouve pas une phrase du livre que je lis depuis ce matin qui parle de whisky et d’amitié, et que je voulais noter dans le petit carnet qui me suit partout. Mon torse rouge et flasque est exposé au vent, frais depuis que le soleil est caché par la corniche en son point culminant. Le couple qui était venu chercher l’intimité dans la minuscule crique en contrebas sur ma gauche rebrousse chemin. Sans doute s’est-il aperçu qu’il ne la trouverait pas avant plusieurs heures. Ou bien que rien, pas même l’exotisme d’un rapport rapide les fesses dans les minuscules graviers qui composent la plage, ne redonnerait d’éclat à ce qu’ils ont un jour appelé leur amour.
Elle l’a rejoint à la barrière contre laquelle il était adossé puis il est descendu avec l’assurance d’un enfant, sautant de rocher en rocher sans se retourner ni attendre : c’était l’aventure, enfin. La liberté. Elle a suivi, peut-être comme les femmes le font trop souvent, par gentillesse ou pour se persuader qu’elle croyait encore en quelque chose. Sur son visage, on ne distinguait rien, pas un reste d’émotion si ce n’est une profonde lassitude, une mélancolie qui n’avait pas encore tout à fait effacé son sourire.
Arrivés à la plage, il a fait quelques pas dans les vagues puis rapidement, s’est dirigé vers l’arche que l’eau avait creusée dans la roche et s’est mis à pisser en lui tournant le dos. Elle aussi avait les pieds dans l’eau maintenant : elle avait compris que là où il l’emmenait, elle n’y couperait pas. Les sandales à la main, ses yeux se perdaient au loin, quelque part dans la méditerranée ou tout près au contraire, vers le petit voilier de frégate qui mouillait à quelques dizaines de mètres et sur lequel venaient s’accrocher les derniers rayons du soleil.
Après avoir fourré à la hâte son tee-shirt à motifs géométriques dans le short de bain bleu sur lequel il s’était essuyé les mains, il s’est approché d’elle en silence. Ou peut-être pas, mais le bruit des vagues couvrait celui de ses pas. Doucement, il a posé les mains sur ses hanches avec une tendresse que je ne lui avais pas soupçonnée. Ses gestes aériens, secrets, n’avaient pas tiré la femme de sa rêverie et avant qu’elle ne remarque sa présence, sans un mot, sans un sourire, il a fait mine de l’envoyer à la flotte. Elle s’est retournée, n’a pas ouvert la bouche. Pour la première fois depuis qu’ils avaient entrepris la descente, leurs yeux se sont croisés. Les lèvres, le visage de sa compagne, rien n’avait changé. On y décelait toujours la même usure triste et discrète mais ses pupilles s’étaient probablement contractées. L’enfant bedonnant connaissait ce regard : il a immédiatement commencé à s’éloigner. Elle a retenu sa main dans la sienne une seconde et l’a laissé filer, marcher en fixant ses orteils. Sans doute aurait-elle préféré qu’il troque cette blague de mauvais goût – que lui-même n’avait pas appréciée – contre un geste affectueux : poser les mains sur elle, la laisser à ses pensées. Rien de plus. Sans doute lui aussi aurait-il préféré ça à cette farce grotesque. S’était-il rappelé de l’époque où sa vie avec elle le faisait sourire, quand l’indifférence ne rythmait pas encore leurs journées ?
Au retour, il ne l’a pas aidée non plus. Comme un enfant, encore, il s’est assis sur la barrière en pin pour virer les graviers de ses sandales-méduses. Elle l’a regardé faire puis ils ont repris le petit chemin en terre ocre, une fois de plus, celui de l’éternel retour, ai-je pensé. Lui en tête, regardant droit devant.

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