Ambiance Glaciale

- Bonjour Madame, est-ce que je pourrais voir un commissaire ou l’un de vos supérieurs s’il vous plait.

- Oui mademoiselle, c’est pour quoi ?

- Si vous me le permettez, c’est pour une affaire importante, j’aimerais bien n’en parler qu’à la personne que vous m’indiquerez.

Des gens comme ça, Sylviane, cinquante-trois ans dont vingt-cinq dans la Police à l’accueil en voit trente par semaine. Et encore, c’est sans compter les jours de manifestation spéciale dans la ville où tout le monde veut voir un supérieur pour un vol de portable ou une rayure sur “ la béhème ”. Ca avait le don de l’énerver au plus haut point. Elle en avait entendu pourtant des histoires depuis le temps et elle avait appris à repérer les cas les plus graves dans la masse des petits malins qui pètent plus haut que leurs culs et qui refusent de parler à « la bonne femme du guichet ».

Après cet échange, elle avait eu beau essayer de lui tirer les vers du nez –ça aussi elle savait faire depuis le temps–, ça n’avait pas fonctionné. La femme entre vingt-cinq et trente ans qui se trouvait devant son guichet n’en démordait pas. Elle ne lâcherait rien, elle voulait parler à un supérieur.

Néanmoins, quand la petite femme frêle en face d’elle, compte-tenu de l’insistance des questions se rendit compte que la bonne femme du guichet ne lâcherait pas le morceau elle non plus, elle regarda à droite et à gauche, se pencha en avant et lui souffla tout bas : C’est pour un accident grave.

Excédée, Sylviane lui trouva un officier de police judiciaire (OPJ) disponible dans un bureau et dirigea la jeune femme.

Dans la majorité des cas –et heureusement–, les policiers ont à faire à des affabulateurs, des mythomanes, des cinglés quoi ! Sauf que là, la femme ne présentait pas le profil.

Après avoir reçu le coup de fil de Sylviane-de-l’accueil, Jérôme s’était laissé retomber sur sa chaise et dit tout haut dans le bureau désert comme une affirmation plutôt que comme une question : qu’est-ce que c’est que cette histoire encore ! Jérôme était un jeune OPJ à peu près du même âge qu’elle. Un jeune homme brillant et à la carrière débutante.

Elle s’assit en face de lui. Ne sachant visiblement pas par quoi commencer. Il commença à chercher les formulaires réglementaires à remplir pour toute déposition et l’écoutait en regardant ailleurs.

Elle lui expliqua qu’elle venait pour sa mère.

- Vous savez monsieur, ma mère, elle n’est pas méchante, elle est juste un peu colérique.

Ses larmes commencèrent à couler.

Elle voulut partir. Ca se voyait bien que le type en face d’elle ne faisait pas attention à ce qu’elle disait. Il devait avoir probablement pleins d’autres choses à faire plutôt que de faire semblant d’écouter une jeune femme qui pleurait en face de lui. N’arrivant plus à articuler correctement, elle voulut sérieusement partir. Jérôme comprit alors qu’il y avait quelque chose de sérieux dans cette histoire et lui porta un peu plus d’attention.

- Allez-y madame, n’ayez pas peur. Racontez-moi ce qu’il s’est passé. Vous pouvez tout me dire vous savez, on entend beaucoup de choses dans la Police, nous pouvons tout entendre.

Elle se dit que bien sûr il pouvait tout entendre. Mais est-ce qu’elle avait vraiment envie de le dire, elle ? Est-ce qu’elle avait vraiment envie de dire ce que sa mère avait fait. Elle savait qu’elle irait en prison.

Elle ravala quelques larmes et se lança, d’une seule traite, de peur de ne plus pouvoir parler après si elle s’arrêtait pour respirer.

- Voilà monsieur, il y a environ un an et demi, ma mère s’est encore disputée avec son compagnon. Ils se disputaient parfois mais jamais rien de grave. Jusqu’à cette fois là. Elle m’a dit qu’elle l’avait frappé deux ou trois fois sur la poitrine et qu’elle a entendu un craquement. Il est mort, il est dans le salon. Au congélateur depuis un an et demi.