Aveugle aimant

Christophe Paris

L'amour rend aveugle, la jalousie rend sourd.


« Oh non c'est pas vrai ! Pas maintenant... ». Aïda venait de claquer la porte avec les clefs à l'intérieur. La pauvre était dépitée, d'autant qu'elle était déjà à la bourre pour prendre son train et partir en W.E à Venise avec ses deux meilleures copines. « Flûte, bon tant pis j'y vais, pensa t-elle, les filles m'avançeront les sous et je phonerai à Laurent et aux enfants avec le smartphone d'Isa ». Pressée et en panique, Aïda dévale l'escalier, bat tous les records d'Hussain Bolt pour rejoindre la bouche de métro, qui la gobe aussitôt et la recrache Gare de Lyon. Logistique de filles oblige, elles se retrouvent pile poil à l'heure. Isa a les billets, Béa les sucreries, la grande aventure peut commencer. Il est 17h07 le train démarre. Au même instant Laurent ouvre la porte le l'appartement et se rend compte que les clefs d'Aïda sont à l'intérieur. Il sourit. « Mais quelle tête de linotte elle est trop choute, j'l'adore ». C'est en entrant dans le salon qu'il éclate de rire aperçevant le sac Lancel de la distraite, affalé et ouvert sur le canapé, entouré des ses amis sortis faire une ballade sur coussins, en l'occurence carte de crédit et Smarphone. Il est attendri de tant de légèreté, le pragmatique analyste financier. Elle lui fait du bien cette femme. Elle l'assouplit. Il le lui rend bien d'ailleurs. Attentionné, serviable, compréhensif, compatissant et toujours in love, c'est presque le gendre idéal en dehors de sa passion pour le Curling. Tiens le curling... il a oublié de réserver la piste. Coup de fil mais sans le fil, son portable fait des heures supplémentaires, oublié sur la table du bureau. Il se dit qu'elle lui a passé le virus et sourit de tendresse. Machinalement il prend le phone de sa belle et compose le numéro du club. En fait pas exactement. En activant l'écran tactile, Laurent n'a pas composé le numéro du club mais le bouton connect de twitter qui lui annonce plusieurs nouveaux messages. L'écran, obéissant au doigt mais sans l'oeil de Laurent, qui pour le moment cherche un truc à grignoter dans la cuisine, se connecte... C'est en trouvant le temps long qu'il vérifie le numéro. A peine eût-il posé ses yeux sur l'appareil que son coeur cessa de battre un court instant. Stupéfait, les yeux exhorbités pour être certain de ne pas faire d'erreur, le souffle court il cliqua sur le premier message envoyé par un certain Dick Troyer. Le premier d'une longue liste qu'il découvrit avec effroi et tristesse. On pouvait lire « Mon amour, mon coeur manque de toi, je suis comme une bougie sans sa flamme. La vie n'est qu'ombre sans tes baisers pour l'illuminer ». Elle lui répondait avec des «Sans toi je suis fleur qui se fanne, corps qui se pâme, lueur qui s'étiole »

«Et moi chérie, je suis une voile qui ne gonfle que sous la brise de ton souffle, un soldat d'amour qui rends ses armes, un esclave en manque de ton sourire».

«La salope, la chienne, le jour de mon anniv' !! Après tout ce qu'on a vécu... c'est dégueulasse, quelle pute... non j‘y crois pas... ». Rage, révolte, haine, douleur, dégôut,nausées, violence ,désir de vengeance transpercent le roi de la finance.

Vite lu, vite conclu en fin analyste qu'il était. Ni une ni deux avant le retour D'Aïda, il mit fin a son bail, fit déménager les 9/10 eme du mobilier, déposa une lettre laconique et disparu avec les enfants, refusant tout dialogue depuis lors, la grand-mère se chargeant des transferts d'enfants. Et voilà, quel gâchis, l'analyste aurait dû lui parler, l'écouter, et rien n'aurait été détruit. L'amour rend aveugle la jalousie rend sourd. Elle lui aurait expliqué que depuis quelques temps elle s'était inscrite sur un site d'écriture, WeLoveWords, sans oser lui dire de peur qu'il ne se moque, qu'elle participait à un concours par équipe sur le thème des phrases d'amour. Il aurait compris qu'elle ne faisait que confronter son travail aux autres pour n'en garder que le meilleur. Lui, aveugle et stupide n'avait su garder que le pire de l'homme, la jalousie.

Christophe Paris.

Signaler ce texte