Cabourg

luz-and-melancholy

Elle fermait les yeux, fascinante, sur ses souvenirs éthérés. Sur ces petites réminiscences à peine perceptibles, qu'elle souhaitait doucement caresser du bout de ses cheveux, les frôler à peine pour ne pas en défaire l'essence ni le parfum. Ainsi s'écoule le temps comme coulent les sentiments. Ainsi était-elle, belle avec son spleen et son méli-mélo de tics charmants et mélancoliques. Délicate et frêle comme l'air marin qui ravissait ses maigres épaules. Par moments, ce que je préférais, c'était son rire furtif, dont la sincérité éclatante embaumait le paysage. Les étés à Cabourg avec elle étaient si beaux quand sur la grève elle effleurait le sol en équilibre ! Sa silhouette alors s'allongeait, et ses bras, avec l'application et la maladresse attendrissante d'une danseuse exécutant son premier ballet, dessinaient par à-coups de légères nervures dans l'air marin. Suspendue sur la brise, elle avait la grâce agile et insolente qui fait le secret des femmes aimables. Et que dire de son air ravi et mutin quand enfin elle se tournait vers moi, impalpable. Voilà une image que j'aurais voulu garder à l'esprit pour oublier à jamais ce qu'était le chagrin, ou pour tout du moins l'amoindrir dans les moments de peine qui ont jalonné ma vie, douloureuse sous le poids de son absence. Dans ce visage ont commencé et finissent mes lancinantes lamentations, vers cette femme enracinée dans l'Antiquité où je vis, depuis qu'elle est partie. La voilà nue dans la mer à Cabourg, et puis c'est elle sur le sable qui marque le temps, et où mes pas s'enfoncent. En elle la lourdeur des nuages capricieux et en elle la musique des âges, si bien que, partout où je vais, elle effleure, paisible, mon épaule, et me prend la main pour me mener dans la typique maison à colombages où allongés enfin je trouvais la paix. Dans ses bras. Parfois, quand nous sortions le soir, je me prenais à disparaître au milieu de la foule animée, quand les premières amours se mêlent et s'entremêlent et se démêlent, pour le simple plaisir de la perdre et de la retrouver, mienne, le visage irradiant de candeur après la frayeur.

Mais ce que je ne saurais jamais si bien relater, c'est peut-être cette espèce de tristesse constante dans son regard et sur mon coeur. Et pourtant, je l'aimais aussi pour ça. Car elle était impénétrable aussi bien que transparente. Nul besoin d'artifices, encore moins de prudence, pour parler à son oreille attentive et l'écouter dans un long murmure. C'est toute peur étiolée que l'on se confie à cette femme-là, comme l'homme et l'idéal qu'on sera toujours à ses yeux. C'est insolite et pourtant si évident, que la boule au ventre, je ne puis l'exprimer. Son amour inconditionnel et nourricier était plus difficile à défaire que la natte qui unissait les mèches épaisses de sa longue chevelure. Remarquable et joueuse, à l'image surannée et onirique, elle m'étonnait chaque fois qu'elle me disait je t'aime en caressant le creux de ma tempe, un curieux endroit de mon anatomie dont elle semblait quelque peu fétichiste, mais qui ravissait au zénith la tendre admiration que je lui portais. Cette femme que je vous décris, énigmatique et silencieuse, parée de ce naturel et de cette bienveillance inaugurales, est la seule que j'aie aimée avec la fidélité la plus religieuse, et, je l'admets, avec un fanatisme presque maladif. Elle est cette madone créatrice qui à jamais me lave de mes peines et expurge mes tristesses avec la patience et la passion des Saintes. C'est drôle, me voilà à Cabourg, à nouveau, et le temps a roulé sur mes espérances de jeunesse, erratiques du reste, et bien éparses et futiles. Je ferme mes yeux pour la toucher à nouveau en un soupir et un baiser dans l'air bleui. Le soleil est pareil qu'il y a soixante ans, et l'écume rebat les mêmes vagues. Est-ce possible ? Je la vois dans l'inconstance de l'horizon. Elle aimait la mer à Cabourg, et Dieu, que je l'aime, moi, cette mère que je rejoins à jamais et pour toujours dans le paradoxal silence des coquillages. Ma mère.

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