Champagne à gogo, champagne écolo
Mathieu Jaegert
« Champagne ! »
Le cri est sorti tout seul. Aussi brutalement que le bouchon s’est extirpé du goulot de la bouteille. La première bouteille de la soirée. Et quelle soirée ! Quelles bouteilles aussi !
Il faut dire que j’avais bien mérité quelques coupes pleines et rafraîchissantes. Ce soir, j’avais décidé de me laisser aller, de libérer la pression. L’ébullition avait atteint son paroxysme ces derniers jours. Je bouillais intérieurement. J’avais savouré l’expulsion bienvenue du bouchon par les fines bulles du Champagne, à peine aidées par mes amis présents pour fêter la chose. Le soulagement salvateur s’était invité à ce moment-là. Comme si le pétillant liquide avait servi de détonateur. Comme s’il avait fait office de révélateur. Je réalisais que tout était terminé. Enfin.
J’avais décidé de profiter de la soirée. De faire abstraction du reste, pour envisager l’avenir sereinement.
J’avais également décidé de revisiter mes classiques. Et je savais pouvoir compter sur mes amis pour me guider. Le Champagne allait faire le reste. Des classiques enfouis dans ma mémoire. Des reliquats de catéchisme, des scories de cours d’Histoire, des résidus d’étude de la Bible. L’alcool aidant, ils ont ressurgi petit à petit. Au fil, à mesure et au gré du temps qui passait, et des vapeurs de souvenirs qui se mélangeaient. L’alcool aidant, les langues se déliaient et les carcasses de bouteilles s’empilaient. Les cadavres s’entassaient. Et quels cadavres !
C’était une soirée importante. La fête était de taille, l’ampleur de la joie proportionnelle. A l’image de l’envergure de la nouvelle que l’on célébrait. On n’avait pas de limites. En tout cas on ne s’en était pas fixées. Les grands moyens avaient été déployés. On avait mis les petits flacons dans les grandes bouteilles. On avait mis les gorgées doubles ! J’avais les coudées franches. Ma carte bleue aussi. En apparence en tout cas. Elle avait revêtu le bleu de chauffe. Et tout le monde en profitait.
De la vulgaire bouteille, on est passé à toute biture, à environ « mach 2 », aux magnums.
« Pas assez cher ? »
Pas assez cher.
Le Jéronimo ou plutôt Jéroboam - on n’était plus à ça près - y est passé à son tour. Il a fini par nous suggérer de l’appeler Jéro. On devenait intimes.
Mais un malaise imperceptible commençait à m’envahir subtilement.
Il s’est confirmé quand la référence biblique suivante s’est pointée. Le Mathusalem s’est confondu avec le « M’as-tu vu quand t’as bu ? ». Pas sûr que ma carte bleue suivait le rythme. Non, elle ne pouvait pas suivre ! Mais alors comment était-ce possible ?
Je me suis mis à bafouiller. Le piège se refermait sur moi. Tout s’embrouillait. Le pourquoi du ici. Et le reste. Au « monstre » suivant, j’ai fini par bredouiller :
« Je n’a bu, euh, je n’ai bu que, euh, je n’abuse pas…pffff »
Non je n’abuserai pas de Nabuchodonosor.
Les questions affluaient. Elles se pressaient dans ma tête. Elles m’oppressaient. Les réponses, elles, ne se pressaient pas…
Mais comment avaient-ils fait ? Comment s’étaient-ils débrouillés ? Ca n’avait pas dû être simple ! La manipulation peu évidente…
Et comment cette soirée de rêve avait-elle basculé ? Je ne pouvais pas rejeter la faute intégralement sur l’alcool. Non, pas possible. Il y avait une autre explication…
Je sentais la sueur perler sur mon front, mes tempes, et dégouliner dans mon dos. Les premiers frissons sont apparus. C’est à ce moment-là précis que je me suis redressé dans mon lit.
J’étais rassuré pour ma carte bleue.
Mais une question me tarabustait en même temps qu’elle m’échappait. Une impression désagréable, comme bien souvent au réveil. Tenace, coriace. Une interrogation qui avait dû surgir dans mon rêve, au cours de cette fameuse soirée.
Ah si !
« Mais comment allait-on bien pouvoir se débrouiller, nous les professionnels du tri et du recyclage, pour faire rentrer ces cadavres dans les conteneurs ? Les orifices n’étaient pas adaptés ! Une bouteille, ça ira, mais un Mathusalem, non. »
Oui je sais, c’est bête, mais cette simple question était susceptible de me gâcher la soirée ! Toute fictive qu’elle était…
Mdr. ;) bonne accroche bon texte
· Il y a environ 12 ans ·mamzelle-vivi
vu le prix d'un jéro ou mathu et nabu(que le contenu) vide, parole de champenois si tu rapporte le contenant de ce type tu as droit à la bouteille pleine , ton texte pétille comme mon breuvege local, et spichtttt
· Il y a environ 12 ans ·franek
Sur qu'il devait être plus que bon le breuvage, il coulait à flots pourrait-on dire, tant et si bien que personne ne sait ce que vous fêtiez, apparemment, même vous, l'avez oublié... parti avec les bulles???
· Il y a environ 12 ans ·yoda
Sacré Mathieu, jusqu'à rêver écolo, tu fais fort!!Bravo à ton texte.cdc
· Il y a environ 12 ans ·corinne-antorel
Heureusement tout n'est pas calibré, quelques objets (et pas seulement les objets j'espère) résistent et réussissent à sortir du moule ou plutôt à ne pas y entrer.
· Il y a environ 12 ans ·Bien écrit.
simon-rainner
Ah ah ! Description superbement écrite. On anticipe quelquechose de lugubre pour la finale et le 'punch out' est rigolo! Bravo!
· Il y a environ 12 ans ·Alain Le Clerc
Double recommandation, mais je l'ai déjà lu et commenté Mathieu, regarde plus haut.
· Il y a environ 12 ans ·Lézard Des Dunes
Ah, ah. J'ai ressenti le stress monter,soulagée que se ne soit qu'un rêve comme si il s'agissait de ma propre CB ^^ J'aime bien la façon dont l'ambiance dévie peu à peu, en même temps que les émotions se troublent. Je trouve un écho dans cette histoire, puisque des petites choses idiotes ont le don de venir saboter mes nuits. Tu aurais pu appeler ça, conscience professionnelle aussi ^^
· Il y a environ 12 ans ·hel
Rêve tout aussi étrange que terre à terre, toujours aussi bien écrit.
· Il y a environ 12 ans ·Lézard Des Dunes
Hé oui, heureusement qu'il y a des choses qui ne rentrent pas dans les conteneurs : comment feraient les collectionneurs ???
· Il y a environ 12 ans ·marie-roustan
tu peux en faire une lampe de chevet ;-)) C'est vrai cela... ils ont même pas pensé à Mathusalem! C'est drôle! ton texte aussi...
· Il y a environ 12 ans ·Elsa Saint Hilaire