Cher Père Noël,

veroniquethery

Cher Père Noël,


    Nous sommes le 03 décembre 2014 et il est temps de prendre la plume et de t'écrire. Enfin, quand je dis la plume, c'est une image, puisque nous vivons dans l'ère numérique. Nul doute que toi aussi ! Tes lutins ont été licenciés depuis quelques décennies, remplacés par des petites mains d'enfants exploités dans quelques usines de pays dits « sous-développés » – enfin, cette expression, on ne l'emploie plus de nos jours, parce que c'est trop péjoratif. On se contente donc de la penser. - Les marmousets fabriquent des jouets et autres colifichets, qui feront le bonheur des nantis de tous pays. C'est bien ! Avant, les gosses des pays pauvres ne voyaient pas un poil de ta barbe. Aujourd'hui, près de 400 millions d'enfants vivent en esclavage dans le monde, la plupart d'entre eux travaillant à la fabrique d'objets vendus un peu partout en Europe, aux États-Unis... Ça va en faire des cadeaux tout ça...

    Soyons honnêtes ! Même là où tu ne poses pas ton traîneau-sans doute à cause du climat- on trouve aussi pas mal de gosses esclaves ! Comme quoi, ce serait un méchant raccourci que de ne jeter la pierre qu'aux gros bonhommes blancs et barbus. Y a d'autres barbus dans le monde, qui traitent pas les gosses mieux que toi. Surtout les petites filles, si tu vois à qui je fais allusion.

   Soudain, je me souviens d'un autre de ces enfants, qui n'a jamais eu de jouets, qui n'a même jamais pu jouer. Il s'appelait Iqbal Masih. Petit Pakistanais assassiné en 1995 par la mafia du tapis, parce qu'il avait osé être le porte-parole des millions d'oubliés. Lui aussi aujourd'hui est oublié. Qui s'en souvient encore ?

   C'est curieux. J'ai appris qu'il y avait eu récemment la Journée mondiale des toilettes. Paraît que c'est pour éveiller les consciences sur les gens qui n'en ont pas. La symbolique est parlante. On aime beaucoup les symboles, chez nous. On fait une journée pour les sans-chiottes, mais on laisse les mômes de tous pays dans la merde.

   Bon, voilà que ma lettre dérive... C'est bien moi ça, toujours à faire des parenthèses. Alors revenons à noël et aux cadeaux. Voyons, que demander ? Du chocolat peut-être ? Ben non. En Côte-d'Ivoire, ce sont presque 12 000 enfants qui sont exploités dans le domaine du cacao. Alors, je ne vais pas en remettre une couche ! Ah ! Faut oublier Charlie et sa chocolaterie de rêves, parce que la réalité a bien concassé la fiction.

   Peut-être faut-il me montrer un tantinet moderne. Je pourrais demander un nouveau téléphone. Bon, le mien, malgré ses 10 ans, fonctionne encore très bien. Mais, tout le monde s'en moque. Parait qu'il n'est pas à la mode. Donc, si je te demande le dernier modèle du portable « 100%Jmelapètegrave », va falloir faire bosser les petits Congolais. Et, là, je ne parle pas des gâteaux. Oui, le Congo, vous savez, le pays où Tintin manque de se faire bouffer, toutes les cinq pages, soit par un crocodile, soit par un lion. C'est curieux, j'ai vu que certaines associations voulaient interdire le bouquin, parce que ce serait raciste. Bon, on est rassuré : Tintin et Milou ont encore de beaux jours devant eux au pied des sapins, vu que la Cour d'Appel de Bruxelles a confirmé qu'on ne trouvait dans la BD qu'  « un humour candide et gentil ». Chat alors, ils ont le sens de l'humour, les Belges, parce qu'étymologiquement « candide » veut dire « blanc ».. Donc, c'est ça, de l'humour blanc et gentil.

   N'empêche que toutes ces associations devraient peut-être se tourner sur les Congolais d'aujourd'hui. Vous savez ces milliers d'enfants qui sont contraints à extraire le coltan et la cassitérite qu'on va utiliser pour réaliser de beaux ordinateurs, des lecteurs MP3 et des téléphones ultra à la mode. Ben, ça résout mon problème : merci, père Noël, pas de joujou technologique pour moi.

   D'ailleurs, à la réflexion, cette année, je n'ai envie de rien. Parce que, pour être honnête, j'ai déjà presque tout. Tout ce qui est nécessaire et que des millions de gens n'ont pas...

    Alors, je vais attendre tranquillement que noël soit passé pour fêter le Nouvel An. Comme tant de gens, je ferai une liste de mes bonnes intentions : ne plus bouffer de chocolat -pas pour les gosses, mais pour ma ligne-, penser à donner des sous pour une association qui me donnera bonne conscience. Puis, j'irai admirer le feu d'artifice, en oubliant que la majorité des explosifs utilisés en pyrotechnie sont fabriqués par des petits Chinois... Mais, chut ! Faut pas le dire, faudrait pas gâcher la fête...

Signaler ce texte