Et le parfum des roses

Yannick Darbellay

-La ville c'est plein de solitude.

Le long de la façade en rondins, des papillons vastes comme la main butinent les cœurs saignants des roses trémières. Plus bas, les abeilles s'activent autour des agastaches en fanaison, et des asters de saison. Les fleurs tremblent à peine, effleurées par le vent des plaines. C'est l'été indien.

Japhy va chercher quelques bûches à fendre. Le bois débité est entassé sous des pommiers alourdis, et l'on entend vrombir les mouches, autour des fruits. À chacun de ses pas, des milliards de sauterelles s'égaillent dans l'herbe sèche. Il a laissé sa bière sur le billot, au soleil. Là où les insectes crissent.  

Cet après-midi, la nature embaume l'amour. Un souffle de brise gonfle le linge suspendu entre deux pins rouges, puis s'élance en travers du ciel, bleu, blanc, en plein dans la lumière incendiaire ; et puis s'égare et puis s'élève jusqu'à la cime des sapins noirs. Frrr. Frrrr. La nature bruisse, bruisse. Un corbeau croasse.

-Viens.

-Reste ou pars.

Il a posé sa bière sur le billot.

Torse nu, brun comme un Indien, Japhy laisse couler la sueur dans son dos. Ça le chatouille le long des muscles et sur le front et sous les bras.

Quand vient Sara, il attrape une chemise imprégnée de rose et de vent, qui lui colle à la sueur, avec encore un peu de soleil emprisonné sous le tissu. Et il sert son amoureuse qui paraît minuscule entre ses bras, toute enlacée dans son amour d'homme.

-Viens.

-Reste ou pars.

Il a saisi la hache et installé une bûche sur le billot. Ses muscles roulent sous la peau. Ronds comme du pain de campagne. Le son d'une hache qui s'abat ; on dirait les battements d'un cœur las ; tchac, tchac, un rythme lent charriant d'inéluctables présages. Et malgré la sueur, et malgré le soleil écrasé sur son dos, Japhy s'active dans les effluves d'amour et de sciure. Et le parfum des roses.

Quand vient Sara, ils vont au bord de l'eau. Faut s'avancer dans les bois, parmi les frondes hérissées des fougères, et déjà l'on perçoit le froissement de l'eau, rompu par les trilles des oiseaux. Puis apparaissent les abords moussus d'une rivière. Enfin, en quelques enjambées, on atteint une minuscule plage de sable et de galets, cachée sous des sapins dégarnis.

Japhy allonge sa princesse sur le sable, avec des gestes d'orfèvre. Sara s'accroche à lui. Sara, Sara. Viens, reste ou pars. Les poissons happent leurs soupirs à la surface de la rivière. Le parfum sauvage de l'amour et des roses. Leur sueur mélangée. Odeurs fauves d'homme, de femelle et de ville. Haleine, bruyère, résine. Japhy aime. Sara, Sara.

Quand les amoureux ont fini ; ils n'ont plus rien à se dire.

Le bois sur le billot, les muscles sous la peau, qui roulent. Et la sueur, et le soleil, écrasé sur le dos.

Sara a fait claquer la portière. La voiture emprunte le petit chemin de terre, soulevant des bancs de poussière dans la fournaise et les senteurs de rose. les mouches vrombissent, les sauterelles s'égaillent dans l'herbe sèche, tandis que des nuages chargés d'orages se traînent à l'horizon.

Le long de la façade en rondins, les fleurs ont cessé de se balancer.

  • Merci beaucoup, c'est extrêmement gentil!

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Yannick Darbellay

  • Du travail d'orfèvre, tout y est, les émotions , le rythme, la musique et bien sûr ce petit quelque chose au niveau l'écriture qui n'appartient qu'à toi , bravo

    · Il y a environ 11 ans ·
    W

    marielesmots

  • Ouah, merci pour tous ces compliments, Clouds.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Vintage headless man by hauntingvisionsstock 1

    Yannick Darbellay

  • Magnifiquement écrit. Tous ces détails qu'on arrive à ressentir, qui nous permettent d'entrer dans le texte et de vivre un peu avec le personnage, c'est splendide.
    Gros coup de cœur.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    clouds6

  • Avec plaisir, Lyselotte :) Merci!

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Yannick Darbellay

  • Punaise ! quelle merveille !
    tout ce que j'aime ! les couleurs, le balancement, les parfums, les bruits ! la détresse, l'ombre qui plane.
    Une pépite !
    Monsieur Darbellay...vous me faites voyager...
    CDC

    · Il y a environ 11 ans ·
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    lyselotte

  • C'est marrant parce que ces répétitions, moi j'vois plus ça comme un écho, et j'me dis que ça aurait été vachement bien avec le thème d'avant aussi. Les répétitions de "Sara, Sara" fait presque penser à un souvenir qu'il appelle pour garder en lui.
    Une chose est sûre, c'est superbement écrit. Chaque mot semble pesé, rien n'est inutile. C'est vraiment très beau !

    · Il y a environ 11 ans ·
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    octobell

  • Merci Elfie

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Yannick Darbellay

  • Il y a la ville au loin et elle fait vivre ton décor nature par son absence. J'adore la ville au loin, comme tu la racontes pas alors qu'elle est là(-bas) quand même. Je trouve que dans ce titre y a ce truc là que l'on entend de ce qui est au loin et ce qui est tout près, de ce qui débute et ce qui se termine...et en même temps que le lit également Rafistoleuse, y a ce truc cyclique, presque de la routine...je trouve ça se lit dans ton texte ce qu'on entend dans la chanson, ça colle parfaitement... Merci beaucoup de ta participation.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    El. Imy

  • Merci beaucoup. Ce qui est bien c'est que chacune l'interprète à sa façon.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Yannick Darbellay

  • ah c'est splendide. Je voulais te mettre en coup de coeur quand je l'ai lu, il n'y avait à ce moment la qu'une lecture, et depuis c'est fait, lu, et commenté. Chaque phrase est un parfum voila comment je résumerais mon ressenti.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

  • tres beau texte, un amour entre un homme et une rose. beaucoup de poesie

    · Il y a environ 11 ans ·
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    christinej

  • ça se boit comme le calice...

    · Il y a environ 11 ans ·
    Ange

    Apolline

  • J'aime beaucoup l'effet de répétition qui donne l'impression d'un cycle presque routinier jusqu'à ce que ...claque la portière. Sara a choisi de partir, et le monde autour semble différent. Enfin en tout cas, si c'est ce que tu as voulu faire passer, c'est très réussi.

    Et les bruits, je les entendais, j'y étais :)

    · Il y a environ 11 ans ·
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    rafistoleuse

  • "Enlacée dans son amour d'homme!!! "Des muscles ronds comme des petits pains!""J'aime!! Un grand CDC pour ce texte qui m'a transportée dans ces ambiances fauves au musc d'amour de la ville à la campagne!!

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Colette Bonnet Seigue

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