expérience - 6 - Autour d'un verre
jeff-balek
Je suis à un bar avec un ami qui lui même a trainé un collègue de bureau devant le comptoir.
On discute. On en vient à parler de ce que je fais. Le consultant bon teint me demande :
"Et toi qu'est-ce que tu fais?
- heu... J'écris
- tu écris quoi?
- des romans, des nouvelles et d'autres conneries
- aaahhh t'es écrivain?"
Le voilà le mot. Ecrivain. Ca veut dire quoi écrivain? Hein? Un type qui écrit? Un type qui publie? Un type qui gagne sa peau avec ce qu'il écrit et qu'il publie?
"mouarf, pas vraiment. Je raconte des histoires surtout.
Le type m'a l'air un peu déçu. Qu'est-ce que j'y peux si je trouve le mot "écrivain" un peu trop pompeux pour que je m'y reconnaisse?
- et tu es publié?"
Deuxième question à la con. Ne pas être publié, c'est être un looser. Un type qui raconte des histires si nulles qu'aucun éditeur ne veut le publier. Bref un type qui n'est pas publié ne vaut pas le coup d'être lu. Et ça tombe plutôt bien parce qu'il n'est justement pas publié. Même la plus grande des daubes, dès lors qu'elle est publiée, acquiert quelque part ses lettres de noblesses. C'est un peu comme quand une pouffe ou qu'un abruti de première passe à la télé. Sa médiatisation lui vaut d'être un tant soit peu reconnu.
Avant, à l'époque de l'ortf, vous passiez à la TV parce que certains vous reconnaissaient une forme de valeur, à tort ou à raison. Aujourd'hui, vous gagnez une certaine forme de valeur quand vous passez à la TV.
On ne va pas la blâmer cette télé. Ce sont les éditeurs qui ont commencé. Parce qu'avec la pile de mauvais bouquins qui ont été publiés depuis Gutemberg qui ne valent pas une clopinette, on pourrait bien se faire un joli pont jusqu'à la mer de la tranquillité. Tiens, "mein Kampf...".
Bref, le type me demande si je suis édité. Oui, je suis édité.
Le regard du type s'éclaire à nouveau.
"Et tu écris quel genre?"
Purée, mais que de questions à la con!
"Comment ça quel genre?
- polar, aventure, fantastique...?
- ben chais pas trop"
Un énorme point d'interrogation se dessine sur le crâne un peu dégarni du bonhomme.
"Comment ça?
- ben je m'en fous du genre. Polar, histoire d'amour, comédie romantique, réalisme... Tout y passe. M'en fous du genre"
Se foutre du genre, ce n'est pas bon pour le positionnement, mes amis. Pas bon du tout. Choisissez une catégorie, et ne faites pas comme moi, n'en sortez pas.
Mais pour ma part, me mettre dans un truc, c'est la meilleure manière de chercher à m'en faire sortir.
"On peut pas se foutre du genre", me fait le type, se demandant de toute évidence si je me foutais de lui ou non;
"Ben moi je m'en tape du genre. Ce qui m'importe, c'est le style. le style c'est l'adn du type qui écrit. On ne peut pas lui retirer. C'est sa nature. Après il peut bien écrire toutes les histoires du monde".
Et puis vous vous y voyez vous? Bouffer du polar, de la comédie romantique, du fantasy jusqu'à la fin de vos jours? Enfermés dans votre genre bien cosy? N'osant en sortir parce qu'il fait plutôt froid dehors?
Le type me fait un ah plein de compassion et retourne à sa bière pour discuter business avec mon pote.
Et moi je retourne à la mienne en me demandant de que j'avais envi d'écrire. Là, maintenant.
De toute façon, écrire ou pas écrire, t'inquiètes pas, personne ne saura qui tu es vraiment. Faut s'en faire une raison!
· Il y a environ 13 ans ·arthur-roubignolle
moi aussi je m'en tape du genre ;ip
· Il y a plus de 13 ans ·c le style qui prévaut !
mamzelle-vivi
So true... et pas qu'en écriture, je crois que bon nombre de sphères créatives sont soumises à la "mise en cases". Les gens aussi, d'ailleurs.
· Il y a plus de 13 ans ·monster-inside
Ecrire c'est assouvir une envie de s'exprimer. Le genre dépend souvent du message qu'on veut faire passer, du ton et de la forme qu'on finit par lui donner. Le genre c'est surtout utile au lecteur, qui préférera un polar à une farce si son humeur au moment du choix n'est pas à la poilade
· Il y a plus de 13 ans ·Chris Toffans
Je suis d'accord avec toi Jeff, en même temps je me mets à la place du type. "Tu écris?" (= oh la la un intello, va peut-être être chiant, faut que je surveille mon vocabulaire). "Tu es publié?" (= oh la la un intello connu, et je sais même pas qui c'est, la honte). "Tu écris quel genre?" : là c'est plus difficile, parce que je crois que celui qui écrit n'a pas envie de se laisser enfermer dans une case mais en même temps, il appartient à une famille, même s'il est le dernier à s'en rendre compte. C'est comme si tu rencontrais... je ne sais pas moi... une danseuse... tu voudrais savoir si elle fait l'opéra, le crazy horse ou du hip hop et si elle en vit, même si à la base c'est exactement le même métier...
· Il y a plus de 13 ans ·victoria28
On dirait du Prévert...
· Il y a plus de 13 ans ·nawyecky
Excellent Jeff ! On m'a dit également "mais si t'es pas publié, pourquoi t'écris ?" à cela j'ai répondu que j'aimais ça, écrire. J'ai eu une drôle de gueule en retour :))
· Il y a plus de 13 ans ·leo
C'est superbement bien écrit ... C'est quand même dingue d'avoir presque honte de dire que l'on écrit !?!
· Il y a plus de 13 ans ·muse-oceanide
Il fait bon d'être écrivain.
· Il y a plus de 13 ans ·Marcel Alalof
Au fait, je viens de recevoir de très très bonnes nouvelles des USA pour le recueil collectif d'histoires noires. Je fais mes traductions et je ous tiens au jus. Vous pouvez des maintenant affuter vos plumes!
· Il y a plus de 13 ans ·jeff-balek
Merci Jeff, c'est cette sensibilité là, ces mots là, ceux qui t'animent et te rend généreux dans tes écrits qui font que l'on apprécie "drôlement" ce que tu nous donnes à lire...Une franchise joyeuse et une humilité sertie d'un talent énorme!Que dire d'autres sur l'écrivain...T'as tout dit!
· Il y a plus de 13 ans ·mlpla