Gainsbourg et Vallotton

Marion Danan

Concours Konboni entre autres...

                                      

Salle d'attente du Service des Admissions et de Révision du Statut d'Icône de l'au-delà.


3 h du matin.

Seulement 2 des fauteuils-club en cuir de la salle d'attente sont occupés.

Serge Gainsbourg, vautré, pas rasé, un peu bourré s'allume une Gitane. Son voisin de siège se racle la gorge :

 - « Euh excusez-moi mais je crois que le lieu est non-fumeur… » ?

- « ouais mais moi j'ai une accréditation, ça va avec mon statut », dit Serge en disparaissant dans un nuage de fumée.

« -bien ma veine, presque un siècle pour être convoqué et je me retrouve avec le clodo de service… »  S'exaspère l'homme toussotant.

« -Hey dis donc pauv' type, c'est moi que tu traites de clodo? T'sais pas qui je suis, hein » ?

- « Eh bien non ! Désolé …Ceci dit si votre si prestigieuse réputation est glorifiée par cette allure négligée, j'en déduis que nous ne sommes pas de la même génération … je dois dater d'avant vous. A mon époque, l'on avait l'élégance de se raser … et de mettre des chaussettes » !

- « Hey gamin ! C'est toi le petit nouveau ici … moi j'connais tout le monde et toi je t'ai jamais vu même là-bas, en bas…pourtant entre les émissions, les concerts, les bars, les boites, la vie, les filles, crois moi j'en ai croisé des figures… mais la tienne jamais ! Alors c'est quoi ton truc » ?

- « Je peins, je grave, je me suis essayé à la photo… j'ai connu quelques succès au début 1900… voire une certaine gloire… mais il semblerait que cette exposition au Grand Palais ait donné encore plus de crédit à ce que j'ai laissé en héritage… Felix Vallotton au fait !, et vous êtes »?

- « Serge Gainsbourg, auteur, poète, compositeur… me débrouille pas mal avec les mots et les notes, une chance vue ma gueule ! Ça m'a permis certains succès auprès des plus belles femmes… »

- « Ah les femmes… c'est un sujet qui m'a beaucoup inspiré…peut être le seul qui m'ait vraiment animé, » lâcha Vallotton nostalgique .

« -Alors là tu m'intéresses… je pensais qu'avec ton air de sarcophage et ton costume du dimanche, t'allais me parler horticulture…. Je te sers un verre ? dit Gainsbarre en sortant une bouteille de whisky de derrière l'accoudoir ».

- « Eh bien oui pourquoi pas….merci ! »

Après quelques gorgées, Vallotton repris :

- « J'ai adoré toutes ces heures, à lire leurs corps, leurs courbes, leurs chairs… J'ai vu tant de femmes s'offrir à moi au nom de l'art… je dois bien l'avouer maintenant… j'en ai profité… si vous imaginiez les mises en scènes...vous me prendriez pour un fou pervers ».

- « alors là mon p'tit bonhomme, tu serais surpris de mes capacités d'imagination…Maintenant que l'ambiance est plus festive, je peux te le dire, j'ai fait chanter à ma fille de 13 ans une chanson parlant d'inceste… Crois-moi, j'en ai fait grincer des dents . Et si les femmes m'ont toujours hanté, moi je les ai sacrément troublé ! »

- « Quelle date, votre gloire ? »

-« J'ai commencé à avoir la côte avec la gente féminine début des années 60 jusqu'à ce que je bascule ici début des années 90… 30 ans ! Ça t'en ouvre des perspectives, hein ? »

- « En effet… sans doute de belles années, j'imagine que le public était plus ouvert qu'à mon époque ? Bien que, pour vous faire une confidence, mon plus grand regret ne soit pas l'accueil du public mais celui de ne pas avoir eu de véritable talent pour la littérature… je n'ai pas eu la même subtilité avec les mots que celle dont j'ai jouit dans la peinture. Par paresse ou par lucidité, j'ai renoncé à cette forme d'expression ».

- « Alors là tu me la coupes, moi c'est tout le contraire… figure toi que j'ai commencé par dessiner et peindre… j'ai tout détruit ! Une chiotte ! Alors qu'en imageant avec des mots, ça faisait mouche tout de suite, t'imagine » ?!

Felix se mit à rire… un rire pincé mais franc :

« - Finalement, et si ça ne saute évidemment pas aux yeux, nous nous ressemblons beaucoup. Je serais curieux de vous entendre un de ces jours…et de pouvoir vous montrer mes toiles ou certaines de mes gravures... Peut-être aurions-nous pu collaborer…quel dommage ces contraintes temporelles »…

« - Attend, rien n'est bouclé… figure toi que si le comité nous fait poireauter ici à 3h du mat' c'est qu'ils sont sur un gros dossier… Steve Job vient d'arriver, il nous trouvera bien un « iQuelque-chose » pour mêler nos vices et nos talents ! »

 

 

 

 

Report this text