Key West Mojito Contest ( 1 )

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Key West Mojito Contest

 

Température : 82°F / Humidité : 70% / Chances de précipitations : nulles.

Quatre heures de route et vingt ponts plus tard, c'est le débarquement à Key West.

Cette fois la chaleur et l'humidité ne rigolent plus du tout. Dans mon costume léger mais sombre, je ressemble à un scaphandrier perdu dans un hammam.

Pendant que j'écoute le guide espagnol m'expliquer l'heure et le point de rendez-vous prévus pour le retour, je m'aperçois que non, décidément, je ne parle pas un mot d'espagnol. Ce que c'est que d'avoir été parachuté en classe d'allemand !

Aucune importance. J'attrape au vol le complimentary mojito qu'on me tend sans protester.
Complimentary, c'est une façon de dire que la boisson est obligatoire, mais poliment. Un peu comme si le curé de la paroisse Sainte Marie-Etoile-des-Mers nous pardonnait tout avant même qu'on ait commencé à se confesser. Avec l'esprit pratique des américains, on gagne du temps.

Un mojito et il sera bientôt onze heures. Onze heures du matin, évidemment.

Mon gobelet en plastique dans une main, un plan de l'office du tourisme dans l'autre, je décide de suivre le mouvement. Après tout, est-ce que j'ai le choix ?

Un petit tour sur le port, la mer est bleue, c'est déjà ça.

Dieu que c'est beau ! Une belle mer toute bleue et des palmiers tout autour. De grandes bâtisses de bois (d'un bois venu d'ailleurs, parce qu'ici, à première vue, les marronniers ont l'air plutôt rares), le tout peint par un faussaire de Gauguin, c'est à dire avec des huiles qu'on ne trouve pas chez nous.
Du rouge-perroquet, du jaune-canari, du bleu-perruche.

Avec mon costume de lin anthracite, j'ai l'air d'un corbeau dans une volière tropicale. Ou d' un croque-mort au jardin des plantes. Au choix.

Ici la rue principale s'appelle Duval Street.

Duval, c'est familier !  Ca sonne comme le nom du voisin de palier, un camarade d'école disparu, on est chez soi, ou pas très loin. Dans un souvenir ancestral, peut-être bien le souvenir d'un autre. En tous cas, ça sonne bien. Ca me va ! Duval Street. Pour un peu, d'ici on verrait Montmartre. Sauf que sur la butte à cette heure, on chauffe la rue et les trottoirs. Un Mojito au mois de mars, si c'est pas du vice...

Ici le problème se pose à l'envers. Les terrasses sont pleines à craquer, d'accord. Et il n'est pas encore midi, d'accord. Mais le cagnard est tellement bas qu'on pourrait presque le toucher.

Thermostat 9, chaleur tournante, ce qu'on peut avoir trop chaud dès qu'on n'a plus froid !

Pour échapper au ciel et à la brûlure de son oeil, je suis le sens du courant. Rebondissant d'un bar à l'autre, traversant et retraversant Duval Street avec à chaque fois un peu plus d'aplomb, une plus-value de nonchalance due à la pratique du sport local : les bars parallèles. Un bar à gauche, un bar à droite, une pinte par-ci, un cocktail par là. Midi sonne, me voilà cuit.

Sans plus penser à rien, je godille en chaloupant jusqu'en bas de la rue.
Un dernier rebond au Sloppy Joe, histoire de mesurer la taille de l'espadon cloué au mur entre les couvertures de Life magazine, et puis tiens finalement, ravitaillement au Green Parrot, pour la route, et nous y voilà enfin. Arrivés dans le désordre, mais arrivés quand même.

Et devant nous là voilà qui se dresse, la cathédrale du bout de la route, Notre-Dame-du-Saint-Ivrogne, l'attraction monumentale, la maison du patron, dans son jardin en feuilles de palme, la baraque à miracles. La maison d'Hemingway.

                                                     ***

Pas le temps de m'attarder sur le porche, direction le grand salon, la salle de  bains et la cuisine, les vestibules, un escalier, la chambre avec le grand lit blanc, sur lequel dort un chat. Un chat vivant- je précise à cause du cimetière qui prend la moitié du jardin, et dans lequel dorment d'autres chats, par dizaines ceux-là, avec leurs noms écrits au-dessus, sur des petites plaques en plastique : Marilyn Monroe, Errol Flynn, Simone de Beauvoir, John Wayne...

Pas le temps non plus de traîner dans les couloirs. A peine un oeil vitreux jeté au carrelage de la salle de bains, un regard qui louche sur la bibliothèque où trônent une douzaine d'éditions du " Vieil homme et la mer ". Traduit dans toutes les langues exotiques. Par exemple en allemand (puisque je répète que je n'ai pas appris l'espagnol), ça donne : " Der alte Mann und das Meer ". Doux et mélodieux comme la sirène d'un Stuka, je suis d'accord, mais j'en étais là quand, levant les yeux, je me suis aperçu que j'avais perdu le groupe.

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