La Came à deux vitesses

riatto

A ma gauche la nuque impeccable.
Le fond de teint lisse masque de cire, qui miroite sous les projecteurs.
Le regard lointain et profond, le maintien haut.

L'enfant prodige du petit écran, gendre idéal, l'ami fidèle.

L'animateur, le producteur, le magicien de l'émotion en drive-in, vendeur de pitié en sachets.
L'éternel trentenaire magnifique, le génie du télé-business, l'arrogance du prince millionnaire.

A ma droite, sur le trottoir, le fantôme gris et monstrueux.
Le pauvre camé ordinaire, qui traîne son ombre d'une nuit à l'autre, de Jaurès à La Chapelle.

Le Tox, le Junky, le Pédo ( pas de panique, c'est juste " Dopé " à l'envers... )

Le mauvais fils, l'ado paumé, devenu adulte par erreur.
Les plans pourris, le froid la pluie, le trafic minable et le manque, la cage d'escalier sans lumière, la solitude et la cabane.

A ma gauche la poupée qui fond, la main dans le pot de confiture, les excuses et les premières pages.

Les unes de journaux qui s'affolent, et la ménagère qui s'inquiète.

Sous le tapis, sous le vernis, sous la conscience professionnelle, sensibilité si fragile, les yeux pleins de larmes séchées.
Des kilotonnes de pudeur malodorantes, regrets et contrition sincère, l'empathie à emporter. Faute avouée à la télé, faute doublement pardonnée.

A ma droite la charogne immonde. La bête malade, le visage creux, la coquille vide et le coupable idéal. Voleur de poules et de téléphones, cinquante ou cent tickets par jour .

La poudre noirâtre, les sirops, les médocs sous le métro aérien, les bastons les coups dans la gueule.

A ma gauche les hommages rendus.
Témoignages d'une souffrance intime, si délicate et si émue. Richesse des qualités humaines, qui font d'un vendeur de lessive le génie incompris et torturé, pionnier du voyeurisme en meute. Inventeur de la prime-time-pitié, première pierre à l'édifice de la télé-réalité.

Disparition d'une si belle âme, une âme si belle de métier. Une vraie beauté professionnelle. Riche à millions, et plus encore.

Louanges et cortège recueilli, et puis encore une émission, pour achever de presser le fruit.

A ma droite personne au cimetière.
Le coup de surin ou l'hépatite, qui pour chialer une overdose ?

L'ombre d'un chiffre, une statistique. Le fils de rien, l'enfant de personne, la shooteuse encore dans la cheville. Qu'il crève ! Mais loin, très loin de la page de pub.
Saleté de junky ordinaire, plus crade qu'une poubelle d'hôpital.

Pas besoin d'un trait pour vomir,

suffit d'allumer la télé.

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