La femme, l’or et l’étain
Christophe Paris
Une nuit blanche à laver ses idées noires ça vous déteint le visage au p'tit dej'. C'est son reflet dans le miroir qui fait constater à Narcisse l'étendue des dégâts. Yeux collés, paupières à l'ouverture, néon de la salle de bain, lumière. Effet collatéral. Barre au crâne.
Pas grave, Narcisse Hick a pris sa décision, il va lui parler. Cette femme, qu'il croise chaque matin dans l'agitation des transports, qui n'ont plus de commun que les enguelades d'usagers usés et âgés. Il l'a remarqué depuis longtemps mais n'a jamais osé lui adresser la parole, non par timidité puisqu'il est plutôt tombeur de ses dames, plutôt par gêne. Elle le fascine, lui retourne le cœur à chaque fois. A plusieurs reprises il s'était décidé à l'aborder, à plusieurs reprises il avait échoué, naufragé dans le gouffre qui les séparait.
Mais ce matin il est prêt. Pas de costard de beau gosse, pas de parfum, pas de gel. Jean, gros pull et veste moche Décathlon. Apparaître tel qu'il est à son inconnue, simplement lui.
Son moi tout en émoi quitte son toit, avec un cœur qui bat la chamade comme celui d'un bachelier en oral de rattrapage. Le souffle est court, les jambes en coton, l'estomac dans les talons. Chaque pas lui coûte comme chaussé d'un piano à chaque pied. Gorge sèche, il l'aperçoit. Mains moites il 's'approche. La voici, toujours dans le même couloir. Son corps vêtu d'or est entouré d'une jardinière en étain. Petits pois, corned beef, et autres conserves, dérisoire rempart qui protège son corps vieilli, non par le temps mais par la souffrance. Des victuailles pour un reste d'entrailles qui siège ici chaque jour.
Narcisse s'adresse alors à la miss, France de son prénom, en se faisant tout gentil.
« Bonjour, pardon de vous aborder mais je vous croise tous les jours et… Je voulais vous proposer mon aide. J'ai contacté le service d'aide aux sans-abris qui m'a dit que vous refusiez toute aide. Mais si c'est moi qui vous propose de vous louer un chambre quelques jours, pour vous doucher, vous reposer un peu, vous acheter quelques vêtements, vous en seriez d'accord ? »
La clocharde au corps lyophilisé, le visage buriné comme une vieille serpillère usagée, se lève abandonnant sa couverture de survie pour apparaître dans des guenilles que pas même un rat ne porterait. Une odeur à peine soutenable attaque les narines de Mr Hick qui en manque de vomir.
Le reste de femme enchaîne alors après l'avoir transpercé du regard.
« Non mais tu te crois où espèce de Mickey ? Chez Walt Disney ? T'arrive là et tu penses que ton p'tit coup de baguette magique va faire de moi une cendrillon ! Tu veux t'acheter quoi ? Une bonne conduite ? Ta bagnole te suffit pas ? T'as rien capté, on est loin de toi, de vous, nous les « Ceux d'la rue », on est morts tu comprends, morts. Dans nos têtes, dans nos corps, dans nos sexes, dans nos rêves.
On s'laisse aller parce que plus aucun de nous n'est « Un », juste des restes de souvenirs disparates. Tu passes là tous les jours à m'mater les yeux exorbités comme un poisson chinois quand j'me les caille dans les courants d'air. Tu m'as jamais filé une thune et maintenant tu ramènes ta fraise en my fair lady. C'est des types comme toi qui m'ont mis à terre, c'est pas voltaire. A force de dire oui à tes peurs, à force de tout accepter pour ton « moi je ».
Mais fais gaffe mon pote, comme moi tu peux basculer.
Comme toi j'avais un appart, comme toi j'avais un job, comme toi j'avais un regard d'amour qui se reflétait dans le mien. Mais comme moi tu peux perdre pied, comme moi tu peux t'oublier à jamais, oublier ton corps, ton cœur, ta chair, ta propre existence.
Ça t'étonnes hein, que j'te balance tout ça, hein ? Hein ? Comment qu'ça s'fait que j'cause comme ça alors que chui bourrée ? C'est parce qu'y nous reste plus que ça, la gamberge, celle qui gangrène le cerveau et qui rouille l'âme. Alors c'est l'assommoir, à coups de degrés et de centilitres, mais ça tourne toujours à l'intérieur même quand on arrive plus à articuler. Nos souvenirs nous hantent, nous hachent, nous poignardent, on veut les fuir, leur échapper. On devient des fantômes, des invisibles, aux yeux de soi, aux yeux des autres. Après, c'est la métamorphose en pierres qui amassent de la mousse par litres et finir un soir comme une bouteille brisée au pied d'un réverbère. Alors tu peux dégager avec tes bons sentiments de téléspectateur. C'est quoi ton job ?
- Euh huissier de justice, répond fébrilement Narcisse.
- Allez casse-toi pôv con, casse-toi, casse-toi, casse-toi, balance-t-elle de plus en plus fort, à tel point que Mister Hick sous le choc et par peur de scandale déguerpi sans rien tenter.
La honte plus forte que la générosité, sa peur d'y sombrer plus forte que celle de l'en sortir, ce puzzle de plaies qui vociférait sur lui. Depuis lors Narcisse ne prend plus que le bus…
Le bien-pensant pour bien panser est une chose, s'y pencher en est une autre. Narcisse a préféré reculer plutôt que d'y plonger, comme beaucoup…
Les bons sentiments sont comme les promesses, ils n'engagent que ceux qui les écoutent.
ouais? Narcisse Kick d'abord le nom m'a fait tiquer... je me suis dit Le cri cri d'amour va encore me jouer un tour.Gagné... altruiste? mon cul...quel sale égoïste!!! Et puis...c'est tout Kissous..
· Il y a plus de 8 ans ·vividecateri
hick pardon... hic hic...
· Il y a plus de 8 ans ·vividecateri
Je ne cache pas que je suis tombée dans le piège. Ensuite, je me suis interrogée au fil du texte sur les motivations de Narcisse : voir de lui-même une reflet acceptable, ou tenter une action qui aurait valeur de rédemption ? … ou les deux
· Il y a presque 9 ans ·nyckie-alause
bon, je suis tombée dans le piège comme tout le monde !... arrivée à "Petits pois, corned beef, et autres conserves, dérisoire rempart" je me suis dit y a un hic !....
· Il y a presque 9 ans ·Narcisse huissier de son état, à déjà dû mettre à la rue d'autres sans abris, veut il trouver une rédemption ? rattraper une part d'un paradis qui s'éloigne au fil de ses interventions professionnelles ? veut il se dire qu'il n'est pas un si "mauvais homme" à l'intérieur ? en fait, pas d'altruisme dans ce geste, il ne pense qu'à lui, et elle pourrait être l'instrument de sa réhabilitation... et, comme elle l'a bien compris elle le congédie comme un malpropre, alors que c'est elle qui aurait bien besoin d'un bain lol Au final une vraie réussite ton texte......
Maud Garnier
Alors d'abord c gentil et surtout c exactement ça merci de l'avoir si bien lu, trop cool !
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
;-))
· Il y a presque 9 ans ·Maud Garnier
Très joli Christophe !
· Il y a presque 9 ans ·parismrs
C gentil merci mademoiselleparis :) chai pas pourquoi mais j'ai une vraie tendresse pour ce texte pis c une fille on en parle moins souvent... Bises trop chou ton com !
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Un texte caustique qui décoiffe et décape et j'aime ! des mots bien choisis ! Le constat très juste de l'individualisation de notre société ! Un récit qui ne peut que nous interpeller et nous rappeler le sens du mot "compassion" dans notre société où le paraître l'emporte sur l'être ! Et puis une belle piqûre de rappel aussi car on ne sait jamais ce que la vie nous réserve aussi BONNET A RAS DE TERRE pour la pertinence de tes mots ! Bravooo !!!! Bisous et douce nuit loin de ce monde de suie !
· Il y a presque 9 ans ·Christine Millot Conte
C très gentil pour le bonnet mais remet le par les temps qui courent c'est préférable, très joli ton commentaire merci :)
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Hello poulpita merci du passage et tout et tout, gâââté je suis ! , dis moi je t'ai recommandé auprès de wlw pour un job pour eux suite à un de leur mail il m semble que t en plein dans ce qu'ils cherchent, bises
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Bravo l'ami ! Très chouette cette nouvelle ! Merci.
· Il y a presque 9 ans ·poulpita
Bravo maestro, un texte qui nous embarque au départ sur une voie que l'on imaginait autre.. sujet bien maîtrisé et piège total au final sur un sujet grave, bravo à toi Christophe
· Il y a presque 9 ans ·marielesmots
Mrrci beaucoup c plaisant de voir que le piège a fonctionné, merci pour ce com avec des petits dedans qui font du bien metci !
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Bien amené votre (ton) texte Christophe ! j'ai, à tort, pensé que Narcisse désirait accoster une demoiselle. Tout y était : le cœur qui bat la chamade, le souffle court, les jambes en coton ... Et puis, non, je tombe des nues, c'est une des ces malheureuses sans-abri ! Narcisse s'est enfui, il ne s'attendait pas à tant de haine, surtout lorsqu'il a avoué être huissier de justice, un de ceux, certainement qui lui ont fait perdre son logement !
· Il y a presque 9 ans ·Difficile pour Narcisse de voir cette réalité en face ....Rares sont ceux qui le peuvent à qui " je tire mon chapeau " d'ailleurs !
Louve
Merci de ce gentil commentaire! Le piège a donc fonctionné merci pour ta lecture ce gentil mot
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
De rien Christophe, c'est mérité !
· Il y a presque 9 ans ·Louve
Aie...Je ressors de ce texte pleine d'incertitudes. Je comprends la réaction de la misère qui le rembarre mais je ne comprends pas ça:" Narcisse a préféré reculer plutôt que d'y plonger, comme beaucoup… "N'a t-il pas forcé sa nature pour enfin, aborder cette femme? Il fuit mais...j'aurais fait pareil...Je le trouve attendrissant Narcisse.
· Il y a presque 9 ans ·lyselotte
pas de jugement juste un constat de limites
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Mais t'as raison il a tenté le truc chui p'têt trop dur avec lui :)
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
t'as vraiment bon fond, une vraie générosité si j'en juge par ton com, générosité qu'on retrouve d'ailleurs dans tes textes, tu es une belle humaine lyselotte !
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
en tt cas merci de ton passage et de ta lecture content que tu publies ici encore et toujours :)
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Oui trop dur. Mais je vois cela avec ma sensibilité de femme. Et puis dit, si on écrit, c'est quand même aussi pour manipuler nos personnages non? Alors, vas-y écris...comme tu veux. J'aime que l'on me dise que je suis humaine et en plus belle, j'en peux plus...
· Il y a presque 9 ans ·lyselotte
Allez easy c la saison aussi ki fait ça, écriture=sacerdoce parfois ça fait souffrir aussi la plume et pas seulement qd on l'a dans le cul ! La tienne vole plus haut, elle flotte et virevolte, plein de gens aiment ton style, des éditeurs se manifestent... Patience ça va bouger et pis t corézienne ya rien qui peut t'arrêter, le doute et sa lassitude font partie de la sauce qui nous anime la main et les neurones, une marche à franchir de temps en temps un peu plus haute que les autres, tu sais celle ou on s'arrête pour reprendre son souffle qd on rentre chez soi, et ben on souffle on s'arrête mais finalement on arrive toujours chez soi... So: r e s p i r e ainourmes bijounes
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Merci Ade c'est gentil de passer et de faire ce com et pis la note, merci bôôôcou :)
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Un sujet de société habilement mené. Bravo j'aime beaucoup
· Il y a presque 9 ans ·ade