L'absurde théorème du sapin de Noël

Mathieu Jaegert

Hervé a jeté son stylo un brin agacé, bloqué une fois de plus sur des algorithmes compliqués. Ses recherches n’avançaient plus. Il était reconnu dans son domaine de prédilection des mathématiques appliquées depuis la publication de sa thèse il y a cinq ans mais aujourd’hui il piétinait. Il entendait encore son père lui ouvrir la voie, en marche forcée même si aujourd’hui il doutait qu’il ait un jour prononcé ces paroles.

Alors que les autres parents disaient « tu seras docteur ou avocat mon fils », le sien avait déclaré sans contestation ni même discussion possibles « tu seras chercheur émérite en mathématiques appliquées ». C’était ainsi et ça a fini par arriver. Le petit Hervé, sept ans, après avoir recherché un par un dans le dictionnaire les termes de l’injonction, car il n’osait pas interroger son père, s’était lancé à la conquête des diplômes requis. Il avait également consulté Roselyne, sa grande sœur, qui avait hérité de la carrière de pépiniériste de renom, car oui, pour le père d’Hervé, les qualificatifs liés à la renommée allaient de pair avec le métier exercé. Hervé n’aurait jamais pu devenir un mathématicien quelconque et Roselyne une pépiniériste comme les autres. Hervé s’était souvent demandé quels étaient les motifs qui avaient guidé l’ambition de son père pour ses enfants. Parallèlement, celui-ci était maintes fois revenu à la charge par des démonstrations impeccables d’une logique irréfutable, au moins du point de vue d’un gamin d’une dizaine d’années.

Hervé avait douté souvent pendant ses études mais avait défendu la position de son père et cette trajectoire savamment orientée. Devenu finalement docteur en chiffres, ses certitudes avaient  brusquement vacillé.  Plongé constamment dans des raisonnements par l’absurde, il ne pouvait plus se faire l’avocat du diable et avait compris que l’argumentation de son père était bancale.

A l’époque, quand ses professeurs voulaient savoir ce qu’il avait en tête pour son avenir professionnel, la question le troublait, mais il répétait invariablement la ritournelle paternelle apprise par cœur pour éviter de faire appel à son père. Il se voyait mal dire « attendez, je vais demander à mon papa ». En réalité petit, il aimait faire rire la galerie et se voyait bien en faire son métier. Pitre professionnel. Mais il n’avait pas eu voix au chapitre. Aujourd’hui, ses formules complexes n’amusaient personne, pas même la galerie pourtant bon public.

A deux semaines de Noël, il bûchait et butait sur une équation délicate qui ralentissait ses travaux.

C’était le moment de prendre l’air et de rentrer chez lui. Il décorerait le sapin livré par sa sœur, ça lui changerait les idées.

Roselyne était là, assise sur le canapé. Elle l’attendait l’œil pétillant et une feuille de papier ressemblant à une recette de cuisine posée sur ses genoux.

« Salut soeurette, t’as trouvé le menu du réveillon ? »

-          Non, mieux ! Ca va te plaire toi le matheux »

-          Ah non s’il te plaît, ne me parle pas de ça, j’ai envie d’une seule chose, me détendre en faisant le sapin !

-          Mais justement !

Hervé a regardé sa sœur, sûr du coup tordu qu’elle lui réservait en semant le mystère comme elle savait faire, à doses homéopathiques. Elle a consenti à lui brandir la feuille qui ne ressemblait en rien à une recette de cuisine, si ce n’est par l’origine de la page, soigneusement découpée d’un magazine féminin. Il a immédiatement saisi l’allusion à son boulot. Le nombre « Pi » apparaissait à plusieurs reprises au sein de formules basiques truffée de racines carrées. L’énervement qu’il pensait retombé en quittant son bureau le regagnait. Il n’était pas d’humeur à jouer avec les chiffres, aussi simples et élémentaires qu’ils soient.

-          M’enfin Roselyne, tu peux me dire le rapport avec le sapin ?

-          Doucement  frérot, je vais t’expliquer.

Il sentait qu’il fallait se calmer et ajouter un peu de souplesse à ses propos. Roselyne semblait heureuse et pleine d’enthousiasme. Pourtant habituellement, les angles il ne les arrondissait pas, il se contentait de les calculer.

-          Allez, dis-moi tout ! En plus tu nous as choisis un beau sapin !

-          Oui, tu me connais, c’est mon métier. Mais cette année, en plus d’être beau, il sera parfait. Idéalement décoré.

-          Ah ?

-          Des chercheurs anglais ont trouvé le nombre précis de boules et de guirlandes à placer sur un sapin quel qu’il soit en fonction de sa hauteur. Les formules sont là.

-          Eh ben on n’arrête pas le progrès.

Roselyne continuait sa démonstration de pépiniériste paysagiste, décoratrice improvisée chez son frère, mais Hervé n’écoutait plus. Il venait de trouver la solution à son épineux problème. Elle se trouvait là devant lui et ce non moins épineux résineux.

Pour débloquer sa situation, il lui suffisait de claquer la porte et de filer en Angleterre. Ils n’avaient là-bas visiblement pas les mêmes priorités en matière de recherche fondamentale, ni les mêmes moyens. Il foulerait le tapis rouge déployé à travers le tunnel sous la Manche, sa réputation et sa cape de Père Noël sur le dos.

-          On s’y met ?

Après la dinde et le foie gras, c’était décidé, il prendrait la tangente. Au pire, si la recherche ne voulait pas de lui, il se remettrait à faire rire.

http://www.shef.ac.uk/news/nr/debenhams-christmas-tree-formula-1.227810

  • Aïe ! Je ne suis pas matheuse même d'une aiguille de pin, mais je regarde la déco de mon sapin différemment ! Mais ce menu maths me plaît bien, suis pas raciste ! En fait devrais changer de pseudo ??? Non, c'est par rapport à un film ! Merci Mathieu pour ton talent !

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    theoreme

  • Forêt en écrire plus souvent des comme ça, épicéa gréable à lire.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    027 orig

    Chris Toffans

  • oh la la !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Default user

    tendresse

  • j'avais entendu l'info pour le nombre de boules! Sinon, les parents ne doivent pas empêcher les enfants de prendre la direction qu'ils souhaitent, sinon ils sont frustrés et certains n'ont pas le courage, plus tard de partir outre Manche ou ailleurs. Bonnes fêtes de fin d'année!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

  • Cependant mes chers Arthur et franek, si on change de référentiel, et que l'on tient compte de la fameuse formule de l'entropie dU = TdS - PdV, le résultat est de 4.8 pour 37cm, soit en effet 2.4 pour 18-19 cm...ouf !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

  • Pas du tout mon cher Franek, étant donné que si on prend la constante de Planck, formule bien connue:X-Y 2,2 vecteur G,,on obtient un calcul extrêmement plus précis que les normes internationales. Soit en réalité, 2, 4 boules tout les 18 cm effectivement. La question est, que faire de ce 0,4 de boule?

    · Il y a plus de 11 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • en tant que matheux j'ai les boules de voir que certains passent leur temps dans des calculs oiseux, recette facile deux boules pour 18 à20 cm, c'est la norme internationale,

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Mariage marie   laudin  585  orig

    franek

  • Pour un sapin d'1.50, selon la formule de Maslow V2 =Pi vecteur 12x H. Soit la densité d'une boule de noël égale à la masse sapinesque, on obtient 21 boules à mettre sur le sapin. Elémentaire!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • Clarification (petit écart culturel syntaxique) j'ai employé le mot prolifique -pas dans sens péjoratif- ici au Québec c'est utilisé comme un superlatif. Je soulignais simplement ta contribution à ce site et ta passion évidente pour l'écriture. Au plaisir de te lire!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Image

    Alain Le Clerc

  • Des maths pour noël ! Super original comme idée ! Et tu es super prolifique sur ce site ! Encore un vrai plaisir de te lire.

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    Alain Le Clerc

  • PiRV, formule bien connue Pascal !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

  • Hervé énervé ou Mathieu le matheux... Une bonne suite logique !-)

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Pascal 3 300

    Pascal Germanaud

  • Ils sont trop forts ces Insulaires ! Déjà qu'on savait que Newton se couchait sous les pommiers pour compter les pommes qui tombent ... Tout est sous nos yeux, il suffit de regarder les arbres et de compter les branches pour théoriser le monde. C'est merveilleux, c'est Noël !!!

    Merci Mathieu de nous rappeler qu'on peut aussi écrire pour rêver un autre monde.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sampan 92

    fuko-san

  • Ha faire rire avec des formules mathématiques il fallait le faire ! Merci Mathieu !

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    marie-roustan

  • Après Jean-Michel dans "Ca sent le sapin", Hervé, mathématicien pas si émérite que ça...

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

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