Le glaçon de ton Whisky

Fanny Chouette

Le verre à moitié plein, ça c'est tout moi. Mais oubliez l'optimisme grinçant que l'on colle à cette image douteuse. Le verre en question ne va jamais sans sa moitié de vide que mon esprit avale pendant que mon foie s'occupe du reste. Ca m'aide à réfléchir, et à savoir si un jour, je pourrai le voire déborder à nouveau, ce foutu godet. 

Ces temps-ci, je me sens comme le glaçon que je fais tinter contre ses parois de verre depuis quelques minutes. A mi-chemin entre l'air pur et la noyade, il flotte, plus par vocation que par instinct de survie. Et comme moi, aussi lentement que ma main le promène de droite à gauche jusqu'à ce qu'il en perde le nord, il va fondre. La voilà sa vocation profonde. Assaisonner le poison qui le tuera d'une fraîcheur éphémère avant de disparaitre au détour d'une gorgée. Personne ne remarque jamais vraiment l'instant où sa transparence s'habille de la couleur-même du liquide qui le ronge. C'est un caméléon discret qui excelle dans l'art de se faire oublier pour mieux condamner un autre cube de glace à crever avec lui.  Aussi avant de périr prend-il toujours soin de jeter un froid alentours. Il se flingue comme un grand en givrant tout ce qu'il touche.

Chez moi c'est un peu pareil. Un côté flotte tant bien que mal, quelque part entre l'oxygène et l'alcool pendant que l'autre flirte avec les profondeurs. Et la partie immergée de l'icerberg, c'est elle.
Tout dans notre histoire ne fut qu'évidences. J'en veux pour preuve notre premier baiser, qui déclencha un véritable feu d'artifices sur la ville. Moi qui ne me pensais que de glace, je me retrouvais soudain à lécher les flammes. C'était presque beau quand au bord de l'hydrocution, j'ai laissé cette anesthésie qu'on surnomme sentiments faire son petit effet. Je pensais avoir de la marge avant la brûlure.
Et puis le jour s'est levé.
Je l'ai soudain detestée de trop m'aimer. Elle avait pris mon verre pour l'emplir aux trois quarts, si délicatement que j'en avais oublié d'avoir soif. Un instant durant, je compris que je pourrais laisser ce godet sur le comptoir sans sourciller, c'était flippant et j'ai flippé.
J'en ai bu trois cul sec en choisissant d'avoir raison : elle comblait tant de tout le contenant qui me servait de vie que le glaçon n'aurait demain plus de place.

Six mois. Elle m'a quitté six mois. Le temps de vider un peu mon verre pour y inviter oxygène et fraîcheur éphémère. J'ai renoué avec le comptoir et mon amante de boisson. J'ai aimé la liberté de condamner chaque jour un, deux, peut-être trois glaçons dans un même verre. J'ai vécu ces semaines comme une ivresse givrée entrecoupée de crépitements.
Et puis de millilitres en gouttes légères, elle a refait surface dans ma vie. Ses degrés ont repris la fonte de mes glaces, une chaleur folle et brève.

Aujourd'hui, avant de partir pour un temps qui n'en finira plus, elle s'est avancée tout près, maquillée en tsunami :
- Finalement, tu seras toujours le glaçon de ton Whisky.

Elle a posé cette phrase comme on jette un pourboire.
Elle n'a rien bu de sa menthe à l'eau et m'a laissé là, échoué devant son verre plein, dépourvu du seul glaçon qui aurait dû le faire déborder.

  • Oh oui alors... une suite.

    Je ne te connais pas.

    Moi je m appelle doundoune... je suis nulle... je publie des choses qui m amusent.

    Bravo et coeurs.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Avatar

    Helene Bartholin

  • Merci beaucoup ! Et je compte bien récidiver, oui !

    · Il y a presque 12 ans ·
    Rrrr

    Fanny Chouette

  • ahhhh...C'était toi aussi "le glacon de ton whisky" !!
    Décidément, j'adore ta plume 8) Publies-en d'autres ?

    · Il y a presque 12 ans ·
    Image

    fefe

  • Magnifique ! j'ai adoré !
    cdc

    · Il y a presque 12 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

  • bien écrit et très bien décrit. Glaçant

    · Il y a presque 12 ans ·
    La main et la chaussure

    Stéphan Mary

  • Et quand le glaçon fond dans la bouche...alors là! les mots s’emmêlent, où s'en mêlent ?, j'aime bien cette nouvelle, c'est original et c'est vrai, on peu écrire sur tout, surtout écrire . MERCI
    AMISDESMOTS

    · Il y a presque 12 ans ·
    Img 20140929 091136

    amisdesmots

  • Du beau travail, , j'aime la représentation des états d'âmes au travers de l'image du glaçon

    · Il y a presque 12 ans ·
    W

    marielesmots

  • Sage et disciplinée j'ai commencé par la bande son, les premières notes juste pour m’imprégner, parce que moi lire et écouter la musique mon cerveau suit mal ^^
    Jolie mélodie envoûtante, on tangue comme le glaçon...
    Et le texte alors? Riche d'images et de confidences givrées, j'aime beaucoup cet aspect, et puis les mots dégivrent pour quelques confidences....
    J'ai aimé ce passage:
    "Elle s'était emparée de mon verre pour l'emplir aux trois quarts, si délicatement que j'en avais oublié d'avoir soif. Pour la première fois, j'ai su que je pourrais laisser ce verre sur le comptoir sans l'avaler en deux gorgées dans l'unique optique jouissive d'en commander un autre. Et tout d'un coup j'ai eu peur. Elle ne laissait plus qu'un quart de vide dans le récipient qui me servait de vie. Il n'y aurait bientôt plus de place pour un glaçon."

    · Il y a presque 12 ans ·
    Avat

    hel

  • bonjour l'ivresse ...!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Img 5684

    woody

  • En effet, ton verre déborde de trouvailles !
    Et même s'il ne déborde pas, plusieurs verres à moitié pleins ça fait chavirer les lignes !
    Bravo.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

  • Bravo l opale opaque d un,Verre d eau,de Francis Ponge,et l éclat d une,,Vodka fraise,,d une Zaza Fournier,Bonne soirée a vous.

    · Il y a presque 12 ans ·
    2012 09 07 12.19.16   copie 92

    Fil,Hip,Oohhh, 18 Rockin Cher

  • De belles couleurs aux états d'âme et des phrases avec de superbes trouvailles.
    J'ai eu du mal avec le calcul savant, mais bon!...
    Enfin, j'aime beaucoup l'album "Ceremonials".

    · Il y a presque 12 ans ·
    Un inconnu v%c3%aatu de noir qui me ressemblait comme un fr%c3%a8re

    Frédéric Clément

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