LES SEINS DE LAURA
franek
LES SEINS DE LAURA
J’ai connu Laura sur les gradins de la fac aux cours magistraux de philo débités par la parole hachée d’un prof somnifère, mais je l’ai vraiment découverte lorsqu’avec un groupe de potaches nous rebâtissions un monde nouveau à l’occasion de soirées plus ou moins arrosées dans nos chambrées, le rêve et l’utopie dans un savant mélange d’alcool et d’idées.
Laura, surnommée Lolo, à cause d’une hypertrophie mammaire impressionnante, l’égérie de Russ Meyer, le sosie de Jane Mansfield, le phantasme absolu du nichologue, bref la blonde à forte poitrine chère à Elie Semoun. Taquin par nature et déconneur né, je la vannais souvent et me déchaînais en métaphores pas toujours de bon goût :
-‘’ Coussins pour éléphanteau orphelin.’’
-‘’ Avec tes obus, on se sent protégé.’’
-‘’ Tu es la seule église avec les seins à l’extérieur.’’
-‘’ Avec toi, on est trop loin du cœur.’’
Mes blagues l’agaçaient un peu et parfois la faisaient rire mais les copains en rajoutaient toujours, elle était le sujet de toutes les plaisanteries, bonne pomme elle encaissait avec humour. La vie se déroulait dans l’insouciance de ces nuitées aux discussions interminables qui font les meilleures études. Au sein (sans allusion) de la confrérie, aucun mec n’a jamais dragué Lolo, malgré ses attributs féminin (sa tribu de saints) elle restait ‘’ le sein n’y touche’’.
Quelques années plus tard, Lolo est arrivée avec un type pas très marrant, un con-mercial mercantile, beau parleur. A la fête des funérailles de sa vie de jeune fille, je me souviens de ces quelques vers :
-‘’Ah, Que Laura est très fière
De ses montgolfières
Qu’elle exhibe sur la plage,
Mappemondes de voyages
En rêve chez tous les hommes
Qui veulent croquer ses pommes
D’amour offertes à leurs dents
Mais Lolo est toujours sage,
Les laisse dans son corsage
Et garde le lait pour les enfants.’’
Laura s’est donc mariée et je suis resté célibataire et notre amitié a grandi au fur et à mesure du temps au même rythme que ses marmots. Je suis devenu son confident, son soutien (gorge ?) dans ses moments difficiles, l’ami toujours présent et je continuais de la blaguer sous le regard courroucé de son mari mais elle en riait.
-‘’ N’allaites pas Lolo, tes mômes vont finir obèses !’’
-‘’ Fais gaffe, tu vas étouffer ton mec !’’
-‘’Avec tes poumons le Grand Bleu est mort !’’
-‘’ Tes airbags ne te gênent pas pour conduire ?’’
Je vous épargne (à la banque du sperme, le meilleur rendement sur neuf mois) les plus grivoises qui la pivoinaient. Vingt ans ont passés, j’ai épousé la mère de mes deux enfants, ma future ex supportait très mal cette complicité platonique, la vie allait cahin-caha.
Un jour, au cours d’une rencontre entre copains, style la place des grands hommes de Bruel (patrickkkk !!!!!!) Laura mystérieuse m’entraina dans un coin, à part, l’air angoissé, elle déclara tout de go :
-‘’ Loulou, j’ai mal aux seins.’’
J’éclatais d’un fou rire et la répartie lui parvient en pleine face :
-‘’ Lolo je te plains, si la douleur est proportionnelle aux volumes, la souffrance doit être atroce, horrible, intense.’’
-‘’ Déconnes pas, j’ai vraiment mal dans la poitrine et depuis déjà quelque temps.’’
Elle resta plusieurs jour à me faire la gueule ce qui ne c’était jamais produit auparavant. Elle m’appela enfin au téléphone et me donna rendez-vous dans un bistrot du coté de Montmartre, je m’excusais platement pour ma connerie et devant son anxiété je lui conseillais de consulter un gynéco.
-‘’ Mais Loulou, j’ai honte de déballer mes seins, surtout maintenant.’’
-‘’ Ma Lolo, j’ai un ami gynéco, tu peux lui faire confiance, je te prends un rendez-vous, rassures toi, j’irais avec toi.’’
Avec son accord je lui fixais une consultation avec mon Doc-Gynéco, Jean-Luc.
Dans la salle d’attente j’ai commencé moi aussi à avoir les jetons, il y avait des seins sur tous les murs. Dès sa sortie, Laura pleurait, de grosses larmes dégoulinaient sur ses joues, des trainées de rimmel qui lui donnaient un air de clown triste mais je fermais mon clapoir. Dans la voiture sur le chemin du retour, elle m’expliqua qu’à la palpation le toubib avait trouvé des nodules dans les deux seins. Des examens complémentaires devaient être faits, elle insista pour obtenir mon silence. Sitôt Lolo chez elle, je joignis Jean-Luc, le tétonologue et de toute la conversation, un seul mot s’est ancré dans ma mémoire’’ cancer’’.
Laura fut opérée très vite, sur son lit d’hôpital, la lionne avait perdu sa crinière décolorée, un oisillon rose recroquevillé dans des draps immaculés. Elle faisait peine à regarder, les yeux bleus planqués au fond de l’orbite, les joues cireuses comme au musée Grévin et surtout, pour ceux qui l’avait connu avant, cette triste platitude de son buste, un désert que mes yeux fuyaient instinctivement. Son époux, le lâche a déserté devant l’ennemi, l’ablation concernait en rab ses enfants et son bonheur conjugal, sa raison de vivre, le plus dur fut là.
Comme un con, je ne savais que faire, mes vannes me restaient en travers du gosier, j’étais muet à lui tenir la main. J’allais la voir dès que je le pouvais, les infirmières s’imaginaient des choses avec des airs de sous entendus.
Après la chimio puis la chirurgie reconstructive, la rénovation du balcon, des hauts et beaucoup de bas, Lolo recommença à revoir la vie en délavé mais avec des couleurs en lavis. Ma femme en a profité pour me plaquer, elle avait enfin trouvé plus con que moi, partie 500 kms d’ici avec les gamins. J’étais seul, seul, pour soutenir Laura. La convalescence longue et semée de doutes, l’anxiété de la rechute, la peur de la mutilation, l’espoir de la chirurgie esthétique, la trouille de l’opération loupée, l’angoisse du regard des autres, le désir de vivre, la détresse de revoir à sa sortie toutes ses connaissances avec ce nouveau corps qu’elle n’avait pas encore apprivoisé.
Puis ma cantatrice chauve s’est duvetée mais la chevelure est maintenant plutôt châtain (ah, la première queue de cheval restera un inoubliable souvenir), ses lèvres ont retrouvé le sourire, elle a récupéré ses enfants et sa joie de vivre, elle s’est retrouvée, recomposée, à nouveau sentie femme, elle reprenait confiance à petits pas, allait de l’avant, une renaissance.
A sa sortie de l’hosto, au restaurant où je l’avais invité pour fêter son retour parmi le monde des revenants, l’optimisme était au rencard, le badinage reprenait ses droits, entre la poire (c’est moi) et le fromage, elle m’a regardé avec un sourire narquois et malicieux :
-‘’Loulou, tu ne déconnes plus à propos de mes seins, mes nibards ne t’inspirent plus, ils sont trop petits, t’aimes pas le silicone ?’’
-‘’ Yes, je suis partant pour la silicone vallée, mais les salops, ils en ont profité pour garder le meilleur !!’’
Laura, ma Lolo était réellement guérie, sauvée ! L’humour est toujours de premier signe du réel rétablissement. J’étais presque aussi heureux qu’elle.
Quinze jours plus tard, elle me présenta un infirmier rencontré lors de son dernier séjour de convalescence.
Une magnifique histoire d'amitié, emplie de tendresse
· Il y a environ 12 ans ·marielesmots
un beau texte, merci du partage !
· Il y a environ 12 ans ·bleuterre
Même si j'ai du mal avec l'humour métropolitain, je trouve cette histoire triste et heureuse en même temps, mais pleine de sensibilité surtout.
· Il y a plus de 12 ans ·terosse
Tes plus beaux textes sont ceux ou tu casses cette image de "grande gueule" ... même si le talent est toujours au RDV.
· Il y a presque 13 ans ·maxus
J'ai bcp aimé aussi.
· Il y a presque 13 ans ·corinne-antorel
Elle est très jolie cette nouvelle , on ressent derrière la désinvolture du narrateur beaucoup de tendresse ...
· Il y a presque 13 ans ·cdc
sophie-dulac
mais les deux sont compatibles Yvette, et encore par pudeur je ne mts par en ligne des poèmes des recueils totrés: ''LES PLEURS DU MALE'', RAB D'AMOUR'', LES POURRITURES CELESTES'', je les juge trop sérieux ou grandiloquents, et merci pour tous les encouragements.
· Il y a presque 13 ans ·franek
Je reste coite, comme pawel, parfois la déconne cache une sensibilité, que peu d'hommes veulent dévoiler. Un homme doit incarner la force, et soutenir la femme, mais quand on gratte un peu, ce cœur est si beau, si tendre qu'on ne s'en lasse pas. Continue franek!
· Il y a presque 13 ans ·Yvette Dujardin
Moi aussi j'y crois en l'amitié homme-femme et tous les trésors qu'elle recèle...mais elle est souvent difficile à comprendre. Ton histoire est très belle!
· Il y a presque 13 ans ·ysabelle
Merci Jean-Marc, c'est vrai que l'momme s'erfface devant la douleur des femmes, j'ai toujours cultivé l'amitié hommes femmes
· Il y a presque 13 ans ·franek
yes ! nous y sommes...c'est là d'après moi, que se trouve le meilleur de Franek, quand tu racontes, la beauté de ce récit tient dans le fait principal que tu fais tout pour masquer ta propre angoisse et tes larmes et pourtant on parvient à les ressentir dans ces " distanciations " forcées" dont tu " abuses", ce presque détachement qui n'ose pas dire élève ton empathie...Amicalement jm
· Il y a presque 13 ans ·Jean Marc Frelier
le silence est d'or ... il laisse à l'autre le temps de parler, en silence souvent...
· Il y a presque 13 ans ·Le sage? Coyote...
Pawel Reklewski