Lettre à l'ami.

fionavanessa

photographie Jean-François Dupuis, Accueil.

Je vous ai aimé au premier regard, cher Patrick. Vous portez ce prénom qui vient de mon île verte, vous mon ami insensé aux cheveux blancs comme leurs moutons ; j'ai su à votre regard qui de prime abord me soupesa tout entière en un instant, que vous seriez mon ami pour la vie. J'étais déjà maman par deux fois, mais votre voix pondérée, vos questions si peu anecdotiques avaient fait de moi une étudiante inexpérimentée. Je vous entends encore dire qu'en pressant le nez il en sortirait du lait.

Aujourd'hui je suis bien loin de vous, en kilomètres et en érudition. Seize ans après notre rencontre, je me souviens de tout, et je vérifie encore la force de vos propos.

Je vous revois marcher avec moi dans votre jardin, déambulant au rythme de la conversation.

Votre thé rouge du Yunnan. Vos bottes et votre canne dans l'entrée, me rappelant que vous n'alliez pas si bien, ce que votre sourire léger et votre pétillance masquaient complètement. Tout était un prétexte à apprendre pour vous. La moindre orange partagée en quartiers égaux, le moindre visiteur, vos chiens, la briquetterie à déblayer, les bûches à fendre, le repas à prendre, les musiques à écouter. Apprendre et partager, mon ami.

Vos plaisanteries, votre bonhomie apparente, votre façon de me reprendre avec une autre humilité encore...que je vous ai aimé pour cela, vous que pas une fois je n'ai vu tirer la couverture à vous, toujours si curieux de l'autre, toujours silencieux sur vos peintures, vos livres si pleins et votre connaissance tous azimuts toujours distillée avec une élégante discrétion. Votre rectitude. Votre parler vrai et sans concessions. Mais avec humour, toujours. Et foi en l'homme.

C'est à l'ombre de votre force que le sourire m'est revenu.

J'arrive à la moitié de ma vie peut-être ; je vous sais égal à vous-même, je vous ai écouté et vu philosopher à nouveau par le truchement de la technologie. Même quand je ne vous ai pas à l'oeil, vous êtes le destinataire de ma gratitude, qui me prend sans crier gare, quand vos bonnes influences se rappellent à moi au détour du quotidien.

Je crois que si vous me pressiez le nez il en sortirait toujours du lait ; oh ! comme j'aimerais à nouveau vous entendre rire, comme j'aimerais être tenue dans votre rétine l'espace d'un instant, ne pas être une déception pour vous ; j'ai tant conscience de n'être qu'un germe, vert encore, et qui doit fermenter, autrement dit, j'ai conscience de n'être rien.

Vous m'aviez dit, avec simplicité, de bien choisir mes amis. Pas de touristes. Je vous ai choisi vous. Par-delà la distance. J'ai suivi mon coeur et je suis loin. Je vous sais débordé de travail et de sollicitations de vos nombreux amis. Comment en serait-il autrement ? Le bon pain attire de loin. Si je ferme les yeux, je vous entends encore. "J'ai si peu à te dire, regarde au fond de toi". "On finit par ressembler à ce qu'on aime". Il y a toujours un petit quelque chose qui me revient de vous, tel un boomerang. Déploie dans le sillon des pensées ce mouvement de vous à moi. Accepter tous les regards. La douceur. Le sourire. Se libérer des codes. Penser par moi-même. Oui, c'est vous, c'est moi ; votre don de vivre, votre talent à transmettre ; c'est vous, qui avant toute chose, m'avez appris à me tourner vers moi-même avec douceur, à me tourner vers le coeur.

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