Logement à durée indéterminée

Des finitions

Il y en a tellement. De mots. Pour nommer ce lieu où l'on habite. J'en ai compté plus de trente. Des demeures aux grands airs, des maisonnettes qui se font toutes petites, des loft branchés en béton ciré, des chalets régionaux, des chaumières qui annoncent la couleur, des pieds à terre désinvoltes, des squats tagués, des foyers avec rejetons, des bonbonnières parfumées, des huttes les pieds dans le sable...

Je ne leur ai trouvé qu'un seul point commun. D'être maisons closes sur le monde. Espace réservé aux habitants autochtones mis pour un temps à l'abri de l'immensité étrangère qui les entoure. Sorte de biotope que chacun adapte à soi-même, derrière ses volets bleu lavande ou électriques. Espace approprié au point que le cambriolé parle de sensation de viol de son intimité, de cette extension de lui-même. Avec le temps, est-ce le parquet qui se patine sous les pas mille fois passés, ou la peau qui se ride pour se modeler aux rainures et veines du chêne bien ciré ? Le nid se peuple au fil du temps de souvenirs glanés qui se tricotent dans des coups de cœur aménagés avec une pointe de fonctionnalité. Sans oublier les modes, qui viennent transformer murs et accessoires pour ajouter une pointe tendance aux photos de famille. 

Des cloisons

Un lieu immobile dans ce monde ou tout va tant et plus vite. Maison de repos. De retrait(e). Qui fixe un espace circonscrit aux siens face au reste du monde. Maison d'arrêt qui risque de devenir prison si elle fige l'occupant dans un état statique, lui qui ne s'épanouit qu'en perpétuelle évolution. Toutes ces rénovations colorées, ces réaménagements constants pour suivre les cycles de la vie, de l'âge, des saisons. Des aspirations et besoins qui se transforment au fil des rencontres qui s'aiment et se désaiment, des enfants qui grandissent, partent et reviennent parents, des boulots qui changent et bougent, des gestes ridés qui hésitent dans les escaliers, des études colocatives qui se font tourtereaux, des passe-temps qui se transforment et des besoins qui muent... des membres d'une famille qui évoluent distinctement mais dans un cercle de vie commune. 

Comment quatre murs fixes et fermés peuvent-ils contenir tous ces bouleversements qui s'épanouissent au fil des années sans les freiner, les étouffer ? La mobilité d'un espace privé revu à la baisse pourrait-il mieux suivre cette croissance désordonnée ? Las, impossible de faire tenir tous les éléments indispensables qui composent le chez-soi dans ces quelques mètres carrés sur roues au confort trop rudimentaire pour le long terme. Ne vit pas dans une yourte mongole qui veut. C'est trop s'éloigner de cette culture de prise de possession et de transmission des objets qui nous...habite. 

Des fondations

Alors si le logement parfait n'était qu'un concept détaché de tout lieu précis ? Une idée de ce dont chacun peut avoir besoin  à un moment donné ? Au-delà des matériaux, de la mesure des mètres carrés, du nombre et de la taille des ouvertures, de l'isolement ou du regroupement étagé, des équipements haute technologie ou de l'authenticité rustique, de l'existence ou non d'une cheminée, de la présence ou non d'un jardin, de la vue par la fenêtre...juste un espace délimité, momentanément dépositaire de l'histoire de ceux qui le meublent. Décor de théâtre dont le goût d'absolu tient tout entier dans la pièce qui se joue là. Alors la perfection ne vient pas du logement, mais de l'état d'esprit de ceux qui vivent là. Cohabitent. Coexistent. Parfois seuls avec eux-mêmes. Mais en toute sincérité. En accord majeur. Sans le projet de vie qui se construit à l'intérieur, ce qui s'y fait, et avec ou sans qui, tout logement n'est que quatre murs enfermant un espace vide. 

Alors à chaque virage de vie, la perfection fait ses cartons et déménage pour jouer sa mélodie du bonheur entre de nouveaux murs, achetés, loués ou transitoires. Qui soient en adéquation avec cette constante transformation qu'est la vie. Le logement parfait semble temporaire par essence, car l'être humain est changement. 

© www.reformesdescollectiviteslocales.fr