Mon 1er soutien-gorge

Sève Maël

Chapitre 1

C’est trop la honte ! En plus, je suis sûre qu’Anthony l’a répété à tout le monde ! Heureusement que Julie était là car je n’avais même pas compris. 

« Sophie, on voit tes eins. » m’a dit Anthony pendant la cour de récréation.

Mes « eins » ? C’est quoi ça ? C’est Julie qui m’a dit que ça voulait dire « sein » en verlan. Pourquoi il me parle en verlan, celui-là ? Comme si j’allais comprendre ! On voit mes seins. Mais on les voit où ? Je n’étais pas toute nue, j’avais mon débardeur Lulu Castagnette bleu marine, celui que ma mère m’a offert pour mon anniversaire cette année. Alors il les a vus où, mes seins ? Après, j’ai demandé à Julie si elle les voyait aussi. Elle m’a regardée, gênée, et elle m’a dit :

« Bah oui, un peu, en fait. Ça fait comme deux boules. »

C’est l’horreur ! Je ne veux plus jamais remettre les pieds à l’école. J’ai trop honte. Je vais me cacher jusqu’à la fin de ma vie. Pourquoi personne ne me l’a jamais dit ?

Je ferme la porte de ma chambre à clé, je retire mon t-shirt et je me regarde dans la glace. Ça alors ! C’est vrai que ça fait comme des boules. On dirait des piqûres d’abeille, des olives aussi, comme celles que mon père mange à l’apéritif. Sauf que là, c’est tout rouge. C’est moche, d’ailleurs! Je les ai vus, les seins de ma mère. Ils sont gros, comme des balles et ils ont les bouts dressés et marron. Pourquoi les miens sont-ils tout rouges ? On dirait deux énormes boutons de varicelle.

« Maman ! »

Je hurle depuis ma chambre en me rhabillant.

« Maman !!!

-         Oui Sophie?

-         Maman, viens voir ! »

Cachée derrière la porte, j’attends que ma mère entre pour la refermer à clé. Puis je mets un doigt sur ma bouche pour lui faire comprendre que j’ai quelque chose de secret à lui dire. Amusée, elle s’assoit sur mon lit et je prends place à côté d’elle. Inquiète, je lui demande :

« Maman, tu me trouves normale ? 

-         Bien sûr, ma chérie.

-         Tu me le dirais si je n’étais pas normale ?

-         Mais oui, je te le promets ! »

Quelque peu rassurée, je me blottis dans ses bras. Mais ça ne va toujours pas. Ma mère le comprend et me serre contre elle.

« Qu’est-ce qu’il se passe, Sophie ? me demande-t-elle alors.

-         C’est Anthony. Il s’est moqué de moi à l’école.

-         Pourquoi ?

-         Il a dit qu’on voyait mes seins.

-         Tes seins ?

-         Oui.

-         Mais tu n’en as pas ! »

Je me relève d’un bond, furieuse. Non mais quoi encore ? Comment ça, je n’ai pas de seins ???

« Mais si, j’en ai ! Peut-être pas aussi gros que les tiens mais j’en ai ! Je me suis regardée dans la glace, tout à l’heure. Je ne suis plus une petite fille ! 

-         Pardon, ma puce, je ne voulais pas dire ça, s’excuse-t-elle. Peut-être commences-tu ta puberté ?  Ce serait normal alors que tes seins poussent. Mais il faudrait que tu me les montres pour que je te dise ce que j’en pense.

-         Te montrer quoi ?

-         Tes seins.

-         Ça va pas ! »

Elle est folle ! Est-ce que je lui demande de se mettre toute nue devant moi ?

« Sophie, me fait remarquer ma mère gentiment, tu as pris un bain la semaine dernière et c’est moi qui t’ai séchée. Donc je t’ai vu toute nue.

-         Oui, mais la semaine dernière, je n’avais pas encore de seins. Maintenant, oui.

-         Comment veux-tu que je sache si tu as commencé ta poussée mammaire si tu ne me montres pas ta poitrine ?

-         Ma quoi ? Ma poussée mémère ?

-         Mammaire ! C’est quand tes seins poussent, mon cœur. Au début, ça fait comme une petite boule puis ça grossit et ça se développe. Est-ce que tu as mal ?

-         Non.

-         Alors le processus n’a pas commencé. Sinon ça te gênerait, tu aurais mal quand on te touche.

-         Mais si, regarde, dis-je, ça fait comme deux boules sous mon t-shirt. »

Ma mère me regarde longuement. Je m’écrie :

«  Maman, s’il te plaît, je ne veux plus aller à l’école comme ça. C’est trop la honte !

-         D’accord, on va t’acheter une brassière pour te soutenir la poitrine. 

-         Oh, merci maman, merci ! »

Je ne sais pas ce que c’est une brassière mais ça doit être comme un soutien-gorge. Je vais avoir mon premier soutien-gorge ! En CM2 ! Même plus la peine d’attendre la rentrée des classes de sixième pour faire partie des grandes !

Le soir même, ma mère m’emmène à Carrefour, au rayon lingerie pour adolescentes. Adolescentes. La classe ! Si seulement je croisais quelqu’un de mon école, comme je serais fière ! Evidemment, je ne croise personne. Mais ce n’est pas grave car ma mère m’achète un lot de trois brassières : une unie blanche, une rayée rose et violette et une blanche avec des cerises rouges, de la marque « Active wear ». Il paraît que c’est trop bien pour faire du sport. (6) Ça tombe bien, j’ai gymnastique demain. A la caisse, je pose mes brassières avec fierté sur le tapis. La caissière me sourit. Et oui, je suis une femme maintenant !

Bon, le truc, c’est de comprendre comment ça se met. Hyper simple, ça s’enfile et ça tient les seins en place. Ca fait plus d’une heure que je me regarde dans la glace de ma chambre. J’ai essayé tous mes débardeurs avec chacune des brassières, pour être sûre. Finalement, le mieux, c’est mon top Pimkie couleur crème et la brassière avec les cerises. Ça fait tout à fait adolescente. Tout à fait moi !

« Sophie, à table.

-         J’arrive ! »

Est-ce que je mets mon jean avec ? Ou mon slim noir ? Et mes ballerines ? Oui, mais pour le sport, est-ce que ça ira avec mon jogging ?

« A table ! » hurle ma mère.

Mon slim noir et mon bandeau dans les cheveux.

« J’arrive !!! »

Je me regarde une dernière fois dans la glace. Je suis trop belle !

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