"Non mais c'est quoi cette fille?"

lilii

Dans les soirées, les autres filles - celles qui gloussent et qui vont en groupe se remaquiller dans les toilettes- chuchoteraient certainement « Non, mais c'est quoi cette fille ? » et elle, elle passeraient, les bras ballants, comme si elle ne savait pas quoi en faire. Elle trimbalerait son corps tout entier comme une matière inerte dont elle voudrait tellement se débarrasser et sa démarche zombie, dessinerait presque une danse en filigrane. Elle a les ongles rongés jusqu'au sang.

Enfouie dans ses pulls trop larges, ses jambes trop maigres et son cœur trop gonflé, elle croit passer inaperçu, et elle en rajoute dans l'envie d'invisibilité : des épaisseurs de fringues délavées, maintes fois rabibochées, des teintes de gris, elle en a plein. Nuance.

Elle traînerait même des pieds, pour vous envoyer cette forme d'insolence gracile qui cisaillerait vos têtes. Elle ne vous entend pas parce que dans son esprit, c'est déjà le mélodrame. Elle avait quasiment passée la journée à se convaincre de renouer avec une vie sociale pour qu'au bout de cinq minutes, elle se demandait ce qu'elle foutait là.

Dans les soirées, elle fume comme un nuage, comme si elle cherchait à disparaître avec un coup de vent. Elle se dit que c'est rock and roll de mourir le jour d'une tempête. De toutes façons, elle se sent à l'aise nulle part, même pas avec lui. Elle dira qu'elle est inutile et elle le redira. Elle en est convaincue. Elle vit comme quelqu'un qui attend quelque chose pour démarrer. Une clef ou un «  coup de pied au cul » comme dirait son père. Elle commence plein de choses qu'elle ne finira jamais, elle dit qu'elle s'en fout. Elle pense le contraire. Elle fume trop. Elle boit trop aussi. Mais elle ne vit pas assez. Je crois, d'ailleurs, qu'elle a peur de vivre, comme pleins de gens... Pourtant, la mort, celle qui fait flipper tout le monde, elle, elle l'a défie, comme une habitude, comme s'il fallait remettre les compteurs à zéro et démarrer enfin.  Comme si ses actes manqués étaient devenus ses mots et ses silences son seul langage. Mais c'est le point mort, elle cale. Beaucoup lui jetterait des cailloux, on lui collerait des étiquettes de « dépressive », on dirait même que sa vie est foutue. Sa vie à rallonge, ses journées vides la hante et le soir, elle se fait des sacs de nœuds qu'elle passera la journée à dénouer, une clope au bec et l'estomac noyé d'effluves amnésiques.

De cette peur de vivre, comme un enfant sauvage, elle l'écrit, la dessine ou la chante. Avec justesse. Parce que même si elle ne fait qu'effleurer la vie et qu'elle a déjà embrassé la mort plusieurs fois, elle a cette justesse de ceux qui crée avec leur chair.

Y'a plein de gens comme elle, flippés, qui se pissent dessus à l'idée de vivre vraiment, de foutre enfin les pieds dans leurs idéaux et pas seulement, en rêver, car, ça... c'est trop facile.

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