Nuit

Dans un élan commun, ils marchaient confusément ensemble; rapprochés, côte-à-côte, ils imprimaient sur les pavés durs leur symbiose légère et simultanée. Ils ne parlaient pas vraiment, grisés et enivrés par la pluie fine du tout petit matin, par la noirceur épaisse de la fin de la nuit, par les voix de l'alcool qui chantaient dans leur esprit et dansaient sur leurs nerfs .

Ils ne parlaient pas vraiment, mais avaient l'impression que le silence n'existait pas.

Et les confusions, les mélanges, les oublis naissent de cet atmosphère paisible, troublé et flou.

Je la trouvais malheureusement belle, j'aurais préféré ne rien percevoir quand je la regardais, j'aurais voulu la trouver belle mais ne pas être attiré. Je compliquais et perdais ma tête en marchant avec elle; seuls, rapprochés, ayant le même souffle et les mêmes mouvements. Nous nous arrêtâmes pourtant, mais mon coeur continuait de courir vers le sien, de s'envoler vers ses yeux, de bondir sur ses lèvres. Je me rapprochais irrésistiblement, je ne répondais plus à mon corps, mon corps ne me répondais plus; je me rapprochais irrésistiblement jusqu'à ce que nos lèvres furent voisines, et que je puisse gouter son haleine, ses soupirs, et mélanger notre ivresse. Ses lèvres douces parcouraient les miennes, sa joue tiède se nicha dans ma main. Elle sourit en se reculant, et, sans peine, s'éloigna tranquillement, au milieu de cette rue déserte, mordant sa lèvre et jouant avec mon regard. J'aurais voulu la rattraper et reprendre ce baiser volé, le reprendre, le redonner, le laisser guider nos âmes et nos corps. Mais elle s'éloigna doucement, le gardant avec elle et m'emprisonnant dans ma tendre frustration. 

Je respirais l'air frais de la nuit, et me libérait du bruit agressif et étouffé de l'intérieur; je goutais le paisible silence et buvait la fraicheur de ce tout petit matin : je fermais les yeux. Curieusement, il partait avec moi, écourtant ma respiration de la nuit et achevant ce moment d'abandon, amplifiant le manège qui ne s'arrêtait plus dans ma tête. Il marchait doucement, et heureusement ne parlait pas : je n'aurais pas pu lui répondre. Une ellipse, puis, un baiser. Ce fut assez étrange, mais paraissait naturel, évident, fluide. Ses lèvres étaient tendres et douces, fines et chaudes. Je ne put m'empêcher de sourire, et arrêta ce moment temporellement suspendu. Je crus le regarder, et je m'éloignais pour ne pas respirer son souffle rapide et toucher ses mains délicates. Je m'éloignais et éloignais ce souvenir agréable et inattendu. A mon réveil, il s'était vu amputé de tous ses détails, et il ne me restait plus dans mon esprit que son regard, ses mains, ses lèvres.