Pensées de janvier
Marie Benoit
La neige tombe à gros flocons à travers la fenêtre embuée par la condensation. La nuit est noire et sans lune. Dans un petit soupir Jeanne laisse retomber le fin rideau et s’approche de l’âtre dont les flammes crépitent, réchauffant tant bien que mal la pièce qui lui sert de maison. Les murs en pierres entourent un vieux meuble, une table en bois brut avec un banc, et une paillasse accompagnée par des couvertures. Par là traine une bassine en cuivre, et par ici quelques couverts en terre et en bois.
De dehors, la petite chaumière est à demi-encerclée par la forêt de sapins… Mais pour l’heure tout est blanc partout. La lumière perçant à travers la lucarne et la fumée qui sort de la cheminée restent les seuls signes de vie de cette nuit. Aucun bruit ne retentit, le silence est épais. Lourd. De l’autre côté de la maisonnette s’étend une immense plaine immaculée. La neige recouvre les traces de pas, humaines ou non.
A l’intérieur Jeanne s’est assise sur une couverture près du feu. Elle resserre les pans de son châle en frissonnant légèrement. La jeune femme ne sait pas pourquoi, mais elle sent que cette nuit ne va pas être comme les autres. Ses yeux se baissent vers son ventre arrondi de huit mois à présent. Elle y pose sa main délicate et frêle, souriant lorsqu’elle sent le petit être plein de vie bouger à l’intérieur. Puis reprend son tricot laissé de côté.
Mais soudain, du mutisme de la nuit s’élève un murmure rauque. Presqu’un chuchotement au début. Qui grandit. Se déforme et s’amplifie. Pour devenir hurlement. Le vent s’est levé. En colère. Furieux. Il fait danser les flocons dans un ballet diabolique, secoue les arbres, et s’infiltre par chaque faille, chaque fente, chaque fissure. Tout-puissant, il veut montrer sa force destructrice au monde entier.
La future mère a complètement délaissé ses aiguilles et s’est recroquevillée sur elle-même. Elle a froid. La chaumière est lézardée, laissant entrer le souffle glacial du blizzard. Son sifflement agressif se bat contre les craquements du bois dans les flammes. Jeanne a peur. C’est alors qu’une douleur la paralyse. Un trait fugace mais violent. Ses yeux s’écarquillent de terreur. Non ! Pas maintenant ! Alors, le combat qui se livre dehors s’invite en elle.
Tout n’est que déchainement de violence. Tout se mêle. Tout n’est plus qu’un. L’ouragan qui rugit s’abat autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Jeanne et Mère Nature vivent la même histoire, le temps d’une nuit, d’une tempête, d’une naissance. Le déferlement qui se déverse dans le ventre de la jeune femme est égal au hurlement poussé par les arbres ployés sous les bourrasques sans pitié. Et cela dure encore. Et encore. Et encore. Les secondes, les minutes, les heures atteignent l’éternité dans une attente sans fin.
La sueur perle sur son front. Les larmes ne sont pas loin. La neige s’entasse toujours plus. Le vent forcit, s’unissant aux cris de souffrance. La mère demande délivrance, la nature supplie à la liberté. Le chaos s’intensifie, croît et s’accroît… Jusqu’à exploser, le summum de fin du monde !
Alors c’est l’Apocalypse. Le supplice atteint son paroxysme. Un hurlement suraigu s’échappe de la gorge déchirée de Jeanne, domptant le vent, le tonnerre, la neige, les éclairs. D’un coup tout s’arrête. Plus un bruit. On attend. On a peur. On se demande. Le respect se confond avec la crainte. Aucun son ne vient troubler cette seconde décisive. C’est alors que le soleil ose pousser les nuages gris et noirs, chassant la nuit et son douloureux souvenir. Un rayon pointe par un interstice, caressant alors la peau toute neuve du petit garçon qui git sur les draps. La jeune femme reprend son souffle et se relève. Elle aussi attend. Elle aussi a peur. Elle aussi se demande.
Un geignement, un petit cri, un pleur puissant… Oui ! Il vit ! Jeanne prend le nouveau-né –son enfant !– contre elle, l’enveloppe dans un linge, et des larmes de bonheur coulant sur les joues, elle ouvre la porte et tombe à genoux. Devant elle s’étend un paysage scintillant de blanc. Et des chants d’oiseaux se font entendre. Oui, la Nature revit elle aussi. Pure, encore vibrante de ce qu’il vient de se passer. La mère sait. Oui, cette nuit, elle n’était pas seule. Le monde entier a partagé avec elle cet évènement à jamais gravé en son cœur et son âme.
Alors, le nourrisson blotti contre son sein, elle le berce tendrement et murmure doucement :
-Merci…
j'avais a l'oreille les 4 saisons de Vivaldi... jolie ..
· Il y a plus de 11 ans ·insane
Que de tourments tant à l'intérieur de cet intérieur rustique que dans cette nature balayée par le vent d'hiver ! Mais quel bonheur quand revient le calme avec cette douce blancheur , la lumière et ce petit cri qui vient faire oublier celui de Jeanne . Merci et Bravo .
· Il y a plus de 11 ans ·phine
Merci à tous :)
· Il y a plus de 11 ans ·Marie Benoit
superbe!
· Il y a plus de 11 ans ·saki
Ce texte m'a beaucoup touchée.Merci.
· Il y a plus de 11 ans ·Helene Bartholin
Une belle naissance que la nature accompagne. On accueille avec soulagement la fin de cette tempête.
· Il y a plus de 11 ans ·carmen-p
Beau et émouvant ce déchainement entre la nature et les êtres. Ensuite le calme et le bonheur qui l‘accompagne ! Bravo Marie
· Il y a plus de 11 ans ·nilo
Penser la vie !
· Il y a plus de 11 ans ·Philippe Larue
Emouvant.touchant...Merci du partage.
· Il y a plus de 11 ans ·Choupette
Quelle délicatesse et quelle vérité. Nous ne faisons qu'un avec la nature et avons tendance à l'oublier. Un texte merveilleux qui décrit bien la souffrance... c'est drôle, je viens de m'en faire la réflexion, on s'étend sur la souffrance, la douleur, comme si on pouvait l'exhorter avec des paroles... Pour le bonheur, peu de mots le décrivent, il se vit à l'intérieur sans besoin de phrases toutes faites... le bonheur est indescriptible surtout celui de mettre un enfant au monde... le sien!
· Il y a plus de 11 ans ·yoda