Philosophie et Pissenlit

Alinoë

Enfant, il m’arrivait souvent au détour de mes ballades solitaires de croiser, par hasard, un pissenlit tout blanc, en fin de vie.  A peine arraché à la terre et fermement pincé entre mes doigts, je prenais une grand inspiration pour souffler de toutes mes forces.

Aussitôt, les petites graines duveteuses s’envolaient aux quatre vents. Je les regardais ainsi s’éloigner au gré des courants tels de petits nuages de beau temps. Qu’ils étaient beaux ces montons blancs, libres de leurs mouvements ! 

Je les imaginais s’envoler et s’éloigner jusqu’à trouver l’endroit idéal, la petite parcelle verte prête à les accueillir. Là, ils pourraient s’installer et doucement pousser, grandir avant de libérer une nouvelle portée de moutons blancs à disperser au vent.

Puis, une fois tous perdus de vue, je laissais tomber la tige sans vie au milieu des hautes herbes et je n’y pensais plus jusqu’à la prochaine fois.

L’autre jour, alors que je rentrais chez moi, sur le bord de la route m’attendait un pissenlit en fin de vie. Après un moment d’hésitation, je me suis accroupie et délicatement entre mes doigts je l’ai saisi.

Je n’ai pu m’empêcher de ressentir un petit pincement au cœur lorsque la tige s’est brisée et que la vie l’a quitté.

J’ai pris une grande inspiration et j’ai soufflé de toute la force de mes poumons. Comme dans mes souvenirs, les petits moutons blancs se sont détachés du cœur avant de s’envoler tout en douceur.

Je les ai regardés s’éloigner lentement.

Je les imaginais se laisser porter par les courants, éparpillés aux quatre vents, perdus, déboussolées. Je les voyais déjà désespérés, survolant péniblement la triste ville à la recherche de la moindre parcelle de verdure, espérant s’y poser et peut-être pouvoir pousser.

Je suis restée là longtemps, à scruter l’horizon, cherchant encore à suivre des yeux l’un d’entre eux.

Et puis, j’ai réalisé que je les avais probablement tous tués. Il y avait peu de chance pour qu’un seul pissenlit naisse de celui-ci.

Un soupir me quitta bien malgré moi tandis que j’observais, serrée entre mes doigts, la tige sans vie de cette fleure dégarnie.

 Je la laissai tomber au milieu des rares brins d’herbes à mes pieds avant de m’éloigner d’un pas trainant.

Il ne me restait donc plus rien de mes rêves d’enfants.

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