Punition
ernestin-frenelius
J’ai puni Nadia. Elle m’agaçait. Je l’avais rappelée à l’ordre deux fois et l’avais prévenue. La troisième fois que je me suis tourné vers elle parce que je l’entendais encore jacter, je lui ai dit : « Tu es punie. » Elle m’a demandé : « Quoi comme punition ? » Je lui ai répondu que pour le lendemain elle m’écrirait au minimum dix lignes dans lesquelles elle expliquerait pourquoi je l’avais punie.
Le lendemain matin, installé à mon bureau, Nadia plantée à mes côtés, je lisais sur une grande feuille quadrillée dont elle avait rempli presque toutes les lignes (vingt sept en tout, elle les avait numérotées dans la marge) d’une écriture soignée et presque sans ratures, le texte que j’ai retranscrit ici :
« J’ai parlé à cause de Pietro. il me vole mon stylo et Bachir me prend tout le temps mon cartable et j’aime bien parler. J’ai parler avec Séréna parce qu’elle avait vu ma sœur par la fenêtre. Pourquoi vous me donnez une punition. Vous n’avez pas le droit de m’obliger à écrire. J’ai parlé parce que je n’aime pas cette école primaire elle est moche et laide ça pue trop le caca et j’aime pas les maîtres et les maîtresse et le directeur est méchant très très très [toute une ligne de très] méchant, même son fils il est méchant je crois qu’ils sont tous méchants dans cette famille même la maman du directeur et même le frère et le bébé du frère bref ils sont tous méchant dans la famille des kugler. J’ai parler aussi parce que je m’ennuie à la maison sans mon papa ma petite sœur adorée et mon petit frère qui est mort quand il avait juste un mois. Je pleure tous les soirs à cause de lui. »
La première chose à laquelle j’ai pensé n’a pas été de corriger les fautes d’orthographes. Je me suis demandé comment j’allais m’en sortir et ce que j’allais pouvoir faire pour elle. Puis, je me suis demandé si tout était véridique et si c’était elle qui l’avait écrit.
« Est-ce que tu penses tout ce que tu as écrit ? » lui demandais-je.
Pas de réponse elle restait muette, essayait de soutenir paisiblement mon regard, mais je crois que ça lui coûtait des efforts. Je compris qu’elle était capable d’écrire ces choses là mais pas d’en parler. Elle haussait les épaules, faisait la moue. Je lui demandai alors si elle connaissait des personnes avec qui elle pouvait en parler de ces choses qui la rendaient triste. Elle se renfrogna d’avantage. Son regard fixait maintenant le sol. Si elle avait été escargot, je crois qu’elle aurait aimé rentrer dan sa coquille. Les autres commençaient à s’agiter dans la classe et j’ai du exiger le calme. Enfin, lorsque je demandai à Nadia si elle était déjà allée voir un psychologue, elle hocha la tête et me dit qu’elle ne voulait plus y aller. Elle me confirma que c’était celle de l’école. Je lui dis que je comprenais un peu, et je réalisai qu’il fallait que je la ferme, j’ajoutai juste qu’il existait d’autres psychologues que celle qu’elle avait vu, que moi je n’étais pas psy mais que si elle voulait me parler ou m’écrire, et bien… Elle pourrait. Elle retourna se rasseoir sans dire un mot.
Avec cette punition, ce fut la seule fois que Nadia m’exprimait explicitement la haine et le désespoir de petite fille qu’elle trimballait.
Maintenant la classe était bruyante, beaucoup n’étaient pas à leur place, aucun n’avaient fait ce que j’avais demandé. Cela n’avait rien d’étonnant j’avais discuté presque cinq minutes avec Nadia sans leur avoir donné d’autres consignes que de sortir certaines affaires, il ne fallait pas escompter qu’ils s’occupent calmement ou studieusement. Il fallait que je les reprenne en mains. La journée commençait bien.
A la récréation de dix heures, j’hésitais à en parler aux collègues. Je n’avais absolument pas envie de confier la punition ou Dounia au directeur. Je savais que certains sinon la plupart de mes collègues me diraient que je ne pouvais pas laisser passer ça. Et je craignais que, si je leur expliquais mon attitude et relatais la discussion que j’avais eue avec elle, ils m’estiment fou ou inconscient. Je n’avais pas envie de la punir parce qu’elle avait fait sa punition le plus honnêtement possible, du moins c’est ce que j’espérais à l’époque. Peut-être me trompais-je, peut-être n’était-ce que de la provocation, peut-être mentait-elle. Je finis par en parler à Henri qui ne paru pas surpris outre mesure par ce qu’elle avait écrit Nadia. Comme moi il avait constaté que, quand elle le voulait bien, elle était capable d’écrire tout à fait correctement, qu’elle ne faisait pas trop de fautes d’orthographes, qu’elle était bien malheureuse ou voulait le faire croire. Quand à son petit frère, il ne savait si ce qu’elle écrivait était véridique.
Finalement les autres profs et le directeur finirent par être au courant, je ressentais un vague sentiment de culpabilité, un peu comme si j’avais trahi une règle implicite de ma déontologie. J’aurais voulu qu’elle ne soit pas punie et qu’elle n’ait pas à présenter de plates excuses. Je ne voyais pas l’intérêt on connaissait le fond de sa pensée ou bien du moins les pensées qu’elle voulait qu’on lui prêtât. L’obliger à s’excuser c’était l’obliger à renier. Je n’étais qu’un prof qui galérait avec ses élèves, je ne pensais même pas à la fierté blessée qu’éprouvaient peut-être le directeur et sa famille. Pourquoi ne m’avait-elle pas chargé et insulté moi, cela eut été plus simple, je ne crois pas que j’en aurais été plus affecté que je ne l’étais.
très beau texte
· Il y a plus de 12 ans ·franek
témoignage sincère...
· Il y a plus de 12 ans ·Marion Ploix
Je l'avais lu et je pensais avoir laissé un com.
· Il y a plus de 12 ans ·Tant de choses entrent en jeu... dans ce microcosme qu'est la classe !
Lourde tâche que de parvenir à donner à l'enfant l'envie de jouer le jeu - de révéler et utiliser ses aptitudes !
carmen-p
Bien ficelé Ernestin. J'aime la compation pour ces enfants.
· Il y a presque 13 ans ·nilo
Merci pour ces commentaires Jean-marc, et à vous autres, ça fait plaisir.
· Il y a presque 13 ans ·ernestin-frenelius
plongée au coeur d'une institution qui ne peut plus prendre en compte la totalité d'un enfant, humainement brillant en posant la question large de l'enseignement didactique avec ou sans implication, quelques tournures de détail me gênent mais ça ne compte pas, le cas de conscience du maître et son trouble sont formidablement décrits quand il présume des réactions de ses confrères , le doute sur la véracité du récit enfantin crée une tension ambigüe , enfin l'idée de punir la parole en écrivant n'est-ce pas ce que tout écrivain s'inflige...? ( joke) ...bravo Ernst, really good one...amicalement jm
· Il y a presque 13 ans ·Jean Marc Frelier
un témoignage poignant avec un texte agréable à lire, Bravo Ernestin pour ce partage...
· Il y a environ 13 ans ·Salvatore Pepe
j'aime beaucoup!
· Il y a environ 13 ans ·saki
Ecrire pour dire.
· Il y a environ 13 ans ·yl5
Joli texte, Ernestin !!!
· Il y a environ 13 ans ·Pascal Germanaud
Très beau texte!
· Il y a environ 13 ans ·Emma Scott