Remords...

Chloé. S

      Je me réveille en sursaut, c’est toi qui pleures. Je vois ta silhouette penchée au-dessus de mon lit. Non. C’est l’humidité qui troue le plafond. Elle épanche ses gouttelettes sur moi. On dirait tes larmes. Je frissonne. La pièce est moite. Des mois que tu me possèdes. Ton silence m’obsède. Je suis là, tout seul, mais tu me lâches pas. Faudrais que tu disparaisses… J’ai senti ta main, elle était froide. Ça t’amuse. Mais, tu te rendais pas compte hein, quand tu passais le soir à l’angle de la rue où je faisais le plancton, où je regardais vivre les autres, tu savais pas que le sourire gêné que tu me décochais, c’était comme une flèche qui me trouait le cœur. Et puis, même si c’était timide comme sourire, des images de toi se sont mises à danser dans ma tête. Dans ma tête, deux cœurs, un même battement, toi et moi. Comme dans un film.

C’est normal entre voisins de se saluer. T'avais l'air gentille. T’étais pas non plus une gravure de mode. On n’est pas difficile dans mon cas. Ce matin, je me suis vu dans un miroir, je me souvenais même plus comment j’étais. J’ai un grand front un peu bombé qui retombe sur mes arcades, avec mes petits yeux enfoncés tout au fond de ma tête et le nez qui pointe comme un bec. Dans le miroir t’es venue. Y avait ton reflet derrière le mien. Tu t’es foutue de ma gueule. Je suis moche. Je devrais avoir honte. Tu te rappelles, le jour où t’as dit ça «tu devrais avoir honte» Et toi? De me faire souffrir comme ça, à me railler tous les soirs avec ton sourire comme une entaille dans mon ventre, à chaque fois. Notre vraie rencontre, la seule, tu t’en rappelles? T’étais chargée comme un mulet, je t’ai demandé si je pouvais t'aider à monter tes courses. T’as dit «non, non, je suis habituée» j'ai insisté, j’ai pris tes sacs, t’habitais au cinquième, tu m’as devancé pour ouvrir tes volets. Tu débitais des banalités, tu me tournais le dos. Tes hanches étaient trop larges, tes fesses, tes épaules un peu tombantes, t’avais les chevilles gonflées, des gros mollets tout ronds. J’ai trouvé que t’étais appétissante. Tes yeux, ils étaient très très verts. Ta bouche c’était comme une grosse fraise, j’avais bien envie de mordre dedans. Pour le reste je vais pas m’étendre. T’aimes pas trop qu’on s’étende.

J’ai le lavabo qui goutte. Lui aussi, il s’y met. Y a tout qui dégouline autour de moi. Je pense à quand t'avais peur. Faudrait que t’arrêtes de me fixer, de me sourire en me menaçant. C’est l’heure. Je sors pour ma promenade quotidienne. Prendre l’air, sans toi. En bas, je fais le plancton.Exactement pareil que quand je zonais dans le quartier, avec la peur en plus. Je regarde les gens. Ils font des trucs de gens. Ils fument, ils parlent, s’engueulent, font du jogging, jouent au basket. Tout pareil que chez moi. Y a jamais rien qui change!C’est monotone une vie. Soi-même on est monotone, on change pas.

Chez toi, ça s’est pas passé comme ça aurait pu. C'était pas comme au cinéma. Mais, je t’ai déjà dit que dans les films c'est tous des menteurs, des crevards qui veulent nous humilier avec nos gueules de travers, qu'on pourra jamais rien faire qui ressemble à du rêve parce qu’on est minables, qu’on a des vies de minables, dans un village minable, avec des boulots de minables ! Je suis un bon gars, t'aurais pas été si mal avec moi. Ça m’a foutu en l’air que t'aies même pas voulu voir si mon odeur tu pouvais la sentir.

Arrête maintenant, arrête de me mater comme ça, arrête de moisir ici, fous-moi la paix, je te vois, je te sens, t’es partout, tu cries entre les murs, tu me dis «t’es qu’une ordure, t’es qu’un salaud !», ton parfum se répand, et moi j’étouffe putain, j’étouffe... je tiens plus, j’essaie de respirer par la fenêtre et si je me tords un peu j’arrive à voir le ciel mais tu viens encore flotter devant mes yeux, et ton cadavre rouge, déchiqueté, danse devant moi, tu m’empoisonnes partout, dedans, dehors, derrière les barreaux de ma cellule, je vois que ta putain de mort, ce putain de viol. Tu me hantes, tu me manques, tu m’obsèdes, ton sourire timide, gêné, quand je faisais le plancton dans le quartier, un trou béant, noir et pourri, sur ton visage sanglant qui reste figé à me décortiquer.

              

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