Tentative de remontée d'une pente glissante

Mathieu Jaegert

La suite de « Pente savonneuse » et « Pente décidément glissante »…

Rappel :

Ernestin, sous ses airs affables, se heurte à ce qu’il appelle la « connerie ambiante » accrochée un peu partout dans le village où il s’est installé pour mener à bien sa mission (encore mystérieuse). Il vient d’être contrarié à deux reprises par Michel, le patron du bar, à propos de l’absurdité de certaines Journées Mondiales…

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Le visage qu’il aperçoit dans la première vitrine croisée ressemble à celui qu’il avait aperçu la semaine dernière après son premier revers auprès de Michel. Son agacement est flagrant. Cette fois, il ne tente plus de sauver les apparences et d’appliquer sa bonhommie de façade. Il lui faut reprendre ses esprits, certes, mais pas ici. Après deux échecs cuisants, l’entreprise serait vaine.

Remonter précipitamment la pente n’est jamais bon, le risque de rechute étant important, pourtant aujourd’hui, il a gravi la côte jusqu’à chez lui à une allure que personne ici ne lui connaissait. Son sens aigu de l’observation venait de subir une seconde défaillance en moins de dix jours. Quelque chose cloche. Le grain de sable s’est transformé en caillou venant gripper les rouages du personnage qu’il s’est façonné. Et un mécanisme enroué impose une révision en règle chez le constructeur. Chez lui donc.

Ernestin arrive à proximité de son portail, les yeux fixés sur la serrure et le regard embrumé de ce trop-plein de réflexions qui lui ont permis néanmoins d’ignorer les passants dubitatifs.

Il va se replonger dans ses carnets et réexaminer la situation. Il connaissait par cœur quelques remèdes permettant une réparation rapide des plaies, des recettes éprouvés, idéales dans ce genre de situation.

Il allait faire décanter la bêtise humaine qui décidément rampe dans cette bourgade. Quelques notes plus tard, il en ressortira plus fort. D’ailleurs, quitte à ce que l’opération dure un peu plus, il ferait décanter sa colère en même temps.

Armé de sa clé positionnée entre le pouce et l’index depuis le centre du village pour lui éviter toute recherche chronophage, il commence à retrouver un semblant de calme quand il aperçoit Gaston, son seul voisin, ou plus précisément le seul voisin avec lequel il échange quelques mots tous les matins.

-          Bonjour Gaston !

-          Salut Ernestin, tu m’as pas l’air dans ton assiette, ou plutôt si, mais dans une assiette ébréchée !

-          Sacré Gaston, toi et tes métaphores !

-          Que se passe-t-il ? Tu peux me parler à moi, tu sais, je suis muet comme les cloches de l’Eglise quand elles sonnent pas !

-          Attends Gaston, il y a moins d’une heure, je me disais que la bêtise était accrochée jusqu’aux cloches…elles sonnent même à 7h30 !

-          Ah…elle est accrochée ailleurs ?

-          Quoi ?

-          Bah la bêtise…

-          M’en parle pas ! T’as entendu ces histoires de Journées Mondiales ?

-          Vaguement.

-          Puisqu’ils créent déjà des Journées Mondiales pour tout et n’importe quoi, ils vont finir par créer la Journée Internationale des Journées Mondiales, la Sainte Patronne de ces fêtes. Une journée pour rien, où tu as le droit de célébrer que dalle, une journée sans engagement, sans mobile.

-          Déjà fait !

-          Pardon Gaston ?

-          Déjà fait, j’te dis, une Journée Internationale sans mobile ! Sans engagement et sans forfait à commettre !

Ernestin sent bien que ça dérape et que sa décantation aurait dû passer avant cette discussion.

-          Tu t’fous de moi ?

-          Non, et je suis bien placé pour t’en parler

-          Ah ?!

-          Oui, elle tombe le 6 février

-          Et ?

-          Eh ben, c’est la Saint Gaston, et c’est fait exprès

-          Je comprends rien

-          La journée sans téléphone mobile est apparue il y a douze ans, le 6 février

-          Ok, je vois que tu me mènes en bateau ! Mais Gaston, rassure-moi, ne me dis pas que tu es retraité du Guide Universel des Journées Mondiales ?

-          Non, mais celle-là je m’en souviens !

-          Et le rapport avec Gaston ?

-          Rappelle-toi Ernestin, la chanson : « Gaston, y a l’téléfon qui… »

Médusé, Ernestin se réfugie dans son repaire après une vague formule de politesse pour expédier Gaston. La décantation durera plus longtemps que prévu, en effet. Peu importe, sa mission n’en était qu’à ses balbutiements. Il avait le temps de prendre le temps…

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