Voyage à la renverse
hel
Ils voyagent. Tête à la renverse, paupières mi-closes, traversent les océans et les tempêtes, les bourrasques à flanc de plafond, et s'écorchent à l'abîme de mille paysages. Communiquent sensoriels, les membres gourds d'ivresse, leurs trois corps s'enchevêtrent dans cette même respiration, qui attend l'unique, par-delà des monts réels, quand cavalcadent le long des veines le miel et le nectar. Egarés, rétines derviches tourneuses survolant les mauves et les pourpres, à la sève de sensations qui serpentent au rivage de leur peau. Leurs mains se lient dans la moiteur des alcôves boisées, et retombent harassées de délices dans l'ombre des baldaquins.
Elle se relève, vague et floue, parfum de buble gum fraise sur les lèvres qui mâchonne l'après. Mais dans ses yeux brille encore la torpeur, qui l'empêche de voir le visage hagard qu'elle offre à la psyché, et la candeur enfuie, diluée sous les heures sensitives.
Ils oublient. Regards de traverses, paumes tendues, à l'averse des images qui les inondent, sous les pals d'un fanal qui n'existe qu'au croisement de leur cortex, dans les brumes hypophyses. Le temps étiolé, sacrifié à l'ouate oisive, s'éternise dans le cocon vaporeux. Là où tout ce qui ronge et malmène s'oublie, où le plaisir gangrène la faim et pose un bâillon sibyllin à sa bouche désormais close. Agrément de la substance, sacrifient le mouvement et la volonté, oublient le quotidien terrestre. Leur mère nourricière porte désormais le nom de volupté.
Il s'égare encore, renie les autres désirs qui habitaient son corps et ses pensées. L'après à son oreille prends la voie des conduits de volutes, et susurre l'encore dans une langue jusque-là inconnue, goulue qui réclame au supplice. Ses lèvres se gercent en une grimace inerte, qui craquèle et musèle le besoin commun. Jalousent l'iris de l'autre, épanoui et torve, qui voyage encore aérien et chimérique. Les voilages évanescents caressent son visage béat où le duvet broussaille paresseux, une litanie joyeuse qui partage un bout de paysage, travesti le blanc en un rouge vif qui cingle l'air d'éclats irisés. Il lui murmure le vol des colibris et la roue des paons immaculés. Mirages fantômes à fleur d'arômes opiacés.
Ils rêvaient. Plage noire et blanche aux lagons enchantés, le temps d'une escale, où le magma couve fertile la mangrove dans le bruissement des palétuviers. Les temples et les rizières, descendre les rivières et remonter d'autres paysages. D'autres escales, demain. Le temps d'une respiration, avant de saisir l'opportunité. À la pipe tendue, calumet de tous les maux, suspendus en langueur, les jeunes voyageurs s'abandonnent. Leur jeunesse cède chaque jour, un peu plus de terrain, des fossettes rosées affaissées le long des récifs coralliens se profilent nouvelles, émaciées et pâles. Chevelures hirsutes et bohèmes qui méditent et peignent à l'encre de leurs vices, des mots étranges sur des décors de carte postale.
Elle écrit qu'elle ne reviendra pas, jette des phrases paresseuses, au parfum érodé. Euphorie frénétique qui distance la raison. Vérité crue qu'elle n'enrobe pas.
Dans les limbes frontalières, elle a d'autres voyages à faire, d'autres cendres à consumer. Elle dose généreuse, et dit comprendre le monde en un soupir. Qu'ici les étoiles dansent et chassent la nuit, il n'y a plus à craindre les monstres tapis dans les angles, que son corps raccommode ses douleurs à chaque fois et qu' elle tient le soleil captif entre ses doigts.
Ils écrivent qu'ils lui ont fermés les yeux, qu'elle est partie heureuse, ses rêves calés contre son cœur, avant de s'embraser une dernière fois. Qu'on ne regrette rien, quand on sait se laisser bercer.
Et ils ne signent pas.
Richesse de diversité d'écritures, merci
· Il y a presque 10 ans ·Philippe Larue
Une p'tite bise en passant te dire que j'ai un texte "Kant Harry..."...et maintenat, tu n'en ferais pas un sur Odin, histoire de se marrer à la renverse?
· Il y a plus de 10 ans ·Philippe Larue
Oh, je ne sais pas trop si cela serait susceptible de m'inspirer quelque chose mais j'y réfléchirais.
· Il y a plus de 10 ans ·hel
Que d'Hel pour t'envoler des mots!
· Il y a plus de 10 ans ·Philippe Larue
Oui ,n 'est-ce pas, ce texte plane haut.
· Il y a plus de 10 ans ·hel
Que d'ailes pour voler!
· Il y a plus de 10 ans ·Philippe Larue
Toujours ce style que je ressens comme très musical, il y a une sorte de poésie, une ivresse littéraire quand on lit tes textes... ce qui rend toutefois quelques passages assez difficilement compréhensibles, mais bravo.
· Il y a plus de 10 ans ·------
Merci.
· Il y a plus de 10 ans ·hel
Eh bien : il va y'avoir de la compet' à la roulette... :)
· Il y a plus de 10 ans ·Je me suis laissé porté par tes mots, toujours aussi chantant. Les rimes involontaires ou non font leur effet, et c'est peut-être ce que j'ai le plus apprécié ici.
Je n'ai pas tout compris, mais ce n'est pas l'essentiel. Le tout est très poétique. Même si ça m'embête un peu : j'ai adoré faire le voyage mais j'ai l'impression qu'il ne m'en restera aucun souvenir.
camille-de-vaulx
"Mirages fantômes à fleur d'arômes opiacés."
· Il y a plus de 10 ans ·"À la pipe tendue, calumet de tous les maux, suspendus en langueur, les jeunes voyageurs s'abandonnent"
"Elle dose généreuse,"
Je pensais mes clefs disséminées suffisantes pour.
Et du coup :
"j'ai adoré faire le voyage mais j'ai l'impression qu'il ne m'en restera aucun souvenir"
C'est un ressenti pile adapté au sujet. Si tu vois mieux.
Je voulais dire sans dire, me faire plaisir de ne pas m'embarrasser d'un trop d'explications. Merci pour ta lecture et ton impression.
hel
Faudra que je relise alors. Le problème c'est que tes indices, tes clés sont perdus au milieu de phrase parfois trop obcures. Donc, si parfois, je passe sur le sens pour me concentrer sur la poésie, il se peut que je passe sur les indices ^^
· Il y a plus de 10 ans ·camille-de-vaulx
Ah non, mais t'inquètes, je ne remettais pas la faute sur le lecteur, j'ai bien compris que j'avais du mettre trop de brouillard et d'obscur, et que les clefs sont trop planquées.
· Il y a plus de 10 ans ·hel
Moi, j'ai eu l'impression d'être une petit bateau porté par le courant chahuteur d'une rivière agile. Le fil de l'eau, de ronds galets qui entravent et donnent un nouvel élan à la nappe fluide. J'ai adoré...
· Il y a plus de 10 ans ·C'est très beau...
lyselotte
Merci Lyselotte pour ces impressions, la bateau flotte oui et à trop aimer se laisser porter fini par sombrer. J'ai cette manie d'aimer accoler du beau au sombre, alors j'apprécie que cela puisse se ressentir beau à la lecture.
· Il y a plus de 10 ans ·hel
Très réussi !
· Il y a plus de 10 ans ·luz-and-melancholy
Merci Luz.
· Il y a plus de 10 ans ·hel
You did it again! un texte magnifique. J'ai surtout aimé le début qui m'a fait penser a l'arene, je sais pas pourquoi. Une nouvelle planoplie de mots que tu nous as révélé aujourd'hui et la fin qui fait tomber a la renverse: "et ils ne signent pas"!
· Il y a plus de 10 ans ·jasy-santo
:)
· Il y a plus de 10 ans ·Merci.
Une nouvelle panoplie, peut-être, j'ai suivi l'impulsion d'une idée, me demandant si cela ne serait pas trop sirupeux — un peu — sur la forme, mais l'envie de me faire plaisir. C'était ma récréation entre deux orages ;)
à l'arène ?
hel
Un peu sirupeux, mais dans le bon sens du terme, j'ai vraiment vécu tes mots, j'ai vraiment aimé la poésie! je sais pas pourquoi j'ai eu des images de gladiateurs, dans l'arene - peut etres les poetes?
· Il y a plus de 10 ans ·jasy-santo
Ah, je te demandais pensant que tu faisais référence à quelque chose, voir de quoi il s'agissait, mais j'aime bien sinon cette image de gladiateurs, curieuse, et étrange mais forte, donc ça me va ! Ravie de la façon dont cela opère chez toi et au plaisir de te lire prochainement ... J'espère.
· Il y a plus de 10 ans ·hel